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36. A VOLTAIRE.

Berlin, 26 décembre 1737.a

J'ai été richement dédommagé aujourd'hui du long intervalle pendant lequel je n'avais point reçu de vos lettres, cette poste m'en ayant apporté deux à la fois, auxquelles je vous répondrai selon l'ordre des dates.

Rien ne m'a plus surpris que celle du 24 octobre, où vous me marquez l'alarme que M. Thieriot vous a donnée mal à propos. Vous pouvez être tranquille sur tout ce qu'on vous écrit, puisque vous n'êtes point du tout soupçonné d'avoir eu part au libelle qu'on a fait contre le Roi, ni même d'en avoir eu connaissance. Je vous exposerai, en peu de mots, l'affaire dont il s'agit, qui, dans le fond, n'est qu'une bagatelle méprisable, et aucunement digne de considération. Il y a un an qu'on vendit ici, sous le manteau, un libelle diffamatoire, attaquant la personne du Roi, sous le titre de Don Quichotte au chevalier des Cygnes.b Les vers en sont passables, mais ce ne sont que des injures rimées. Le sens contient la bile la plus venimeuse qui fut jamais. C'est un tissu d'anecdotes cousues avec toute la malignité possible, et brodées d'une manière abominable. Le Roi a vu cette pièce; mais, sensible uniquement à la vraie gloire et à l'approbation des gens de bien, il a souverainement méprisé l'auteur et la production. On s'est contenté d'en défendre la vente sous de grièves peines. De plus, on n'ignore pas où cette pièce a été fabriquée. On sait que l'auteur infâme est de ces écrivains mercenaires que l'animosité d'une cour étrangère a incités au crime; mais il est trop au-dessous d'un


a Le 1er janvier 1738. (Variante des Œuvres posthumes, t. VIII. p. 337.) Dans la traduction allemande de ce recueil, t. VIII, p. 115, cette lettre est datée du 25 décembre 1737.

b Lettre de Don Quichotte au chevalier des Cygnes. (Variante des Œuvres posthumes, t. VIII, p. 324.)