<148> sur les pensées et sur les opinions que les Russes peuvent gouverner une troupe de serviles esclaves. Il n'y a que la seule vertu qui soit digne d'entendre la vérité. Puisque le monde aime l'erreur, et qu'il veut se tromper, il faut l'abandonner à son mauvais destin; et c'est, selon moi, l'hommage le plus flatteur qu'on puisse rendre à quelqu'un, que de lui découvrir sans crainte le fond de ses pensées. En un mot, oser contredire un auteur, c'est rendre un hommage tacite à sa modération, à sa justice et à sa raison.

Vous me faites naître des espérances charmantes. Il ne vous suffit pas de m'instruire des matières les plus profondes; vous pensez encore à ma récréation. Que ne vous devrai-je pas! Il est sûr que le ciel me devait, pour mon bonheur, un homme de votre mérite. Vous seul m'en valez des milliers.

Vous avez reçu à présent une bonne quantité de mes vers, que j'ai fait partir à la fin de novembre pour Cirey. J'aime la poésie à la passion; mais j'ai trop d'obstacles à vaincre pour faire quelque chose de passable. Je suis étranger, je n'ai point l'imagination assez vive, et toutes les bonnes choses ont été dites avant moi. Pour à présent, il en est de moi comme des vignes, qui se ressentent toujours du terroir où elles sont plantées. Il semble que celui de Remusberg est assez propre pour les vers, mais que celui-ci ne produit tout au plus que de la prose.

Vous voudrez bien assurer l'incomparable Émilie de toute mon estime; elle a désarmé mon courroux par le morceau de votre Métaphysique que je viens de recevoir. J'avais regret, je l'avoue, de trouver en elle la moindre bagatelle qui pût approcher de l'imperfection. La voilà à présent comme je désirais qu'elle fût. Si je ne trouve pas vos noms dans mes titres, je sens toutefois que vous êtes faits pour m'instruire, et moi pour vous admirer.a


a La phrase qui commence par « Si je ne trouve pas, » omise dans l'édition de Kehl, est tirée des Œuvres posthumes, t. VIII, p. 337.