<166>J'eus l'étourderie de dire une fois assez inconsidérément, en présence d'une personne, que monsieur un tel avait fait une action indigne d'un cavalier; il se trouva, pour mon malheur, que celui dont j'avais parlé si librement était le cousin germain de l'autre, qui s'en formalisa beaucoup. J'en demandai la raison, on m'en éclaircit, et je fus obligé de passer par tout un détail généalogique, pour reconnaître en quoi consistait ma sottise. Il ne me restait d'autre ressource qu'à sacrifier à la colère de celui que j'avais offensé tous mes parents qui ne méritaient point de l'être. On m'en blâma fort; mais je me justifiai en disant que tout homme d'honneur, tout honnête homme était mon parent, et que je n'en reconnaissais point d'autres.
Si un particulier se sent si grièvement offensé de ce qu'on peut dire de mal de ses parents, à quel emportement un souveraina ne se livrerait-il pas, s'il apprenait le mal qu'on dit d'un parent qui lui est respectable, et dont il tient toute sa grandeur!
Je me sens très-peu capable de censurer vos ouvrages. Vous leur imprimez un caractère d'immortalité auquel il n'y a rien à ajouter; et, malgré l'envie que j'ai de vous être utile, je sens bien que je ne pourrai jamais vous rendre le service que la servante de Molière lui rendait lorsqu'il lui lisait ses ouvrages.
Je vous ai dit mes sentiments sur la tragédie de Mérope, qui, selon le peu de connaissance que j'ai du théâtre et des règles dramatiques, me paraît la pièce la plus régulière que vous ayez faite. Je suis persuadé qu'elle vous fera plus d'honneur qu'Alzire. Je vous prierai de m'envoyer la correction des fautes de copiste que je marque.
J'essayerai de la voie de Trêves, selon que vous me le marquez, et j'espère que vous aurez soin de vous faire remettre mes lettres de Trêves à Cirey, et d'avertir le maître de poste du soin qu'il doit prendre de cette correspondance.
a Une souveraine. (Variante des Œuvres posthumes. t. VIII, p. 339.) Ce mot souverain ou souveraine fait allusion à la czarine Anne Iwanowna.