<176>tous ceux qui ont traité de pareils sujets les ont toujours ornés d'une petite intrigue entre une jeune princesse et un fort aimable cavalier. On trouve une partie carrée tout établie dans l'Électre de Crébillon, pièce remplie d'ailleurs d'un tragique très-pathétique. L'Amasis de La Grange, qui est le sujet de Mérope, est enjolivé d'un amour très-bien tourné. Enfin voilà notre goût général; Corneille s'y est toujours asservi. Si César vient en Égypte, c'est pour y voir une reine adorable; et Antoine lui répond : Oui, seigneur, je l'ai vue, elle est incomparable.a Le vieux Martian, le ridé Sertorius, sainte Pauline, sainte Théodore la prostituée,b sont amoureux.

Ce n'est pas que l'amour ne puisse être une passion digne du théâtre; mais il faut qu'il soit tragique, passionné, furieux, cruel et criminel, horrible, si l'on veut, et point du tout galant.

Je supplie V. A. R. de lire la Mérope italienne du marquis Maffei; elle verra que, toute différente qu'elle est de la mienne, j'ai du moins le bonheur de me rencontrer avec lui dans la simplicité du sujet, et dans l'attention que j'ai eue de n'en pas partager l'intérêt par une intrigue étrangère. C'est une occupation digne d'un génie comme le vôtre que d'employer son loisir à juger les ouvrages de tout pays; voilà la vraie monarchie universelle; elle est plus sûre que celle où les maisons d'Autriche et de Bourbon ont aspiré. Je ne sais encore si V. A. R. a reçu mon paquet et la lettre de madame la marquise du Châtelet, par la voie de M. Plötz. Je vous quitte, monseigneur, pour aller vite travailler au nouvel ouvrage dont j'espère amuser, dans quelques semaines, le Trajan et le Mécène du Nord.

Je suis avec le plus profond respect et la plus tendre reconnaissance, monseigneur, de V. A. R., etc.


a La Mort de Pompée, acte III, scène III.

b Ce sont les noms de personnages dans les tragédies de P. Corneille, Héraclius, Sertorius, Polyeucte et Théodore.