52. DE VOLTAIRE.
(Cirey) avril 1738.
Monseigneur, j'ai reçu de nouveaux bienfaits de Votre Altesse Royale, des fruits précieux de votre loisir et de votre singulier génie. L'ode à Sa Majesté la Reine votre mèrea me paraît votre plus bel ouvrage. Il faut bien, quand votre cœur se joint à votre esprit, qu'il en naisse un chef-d'œuvre. Je n'y trouve à reprendre que quelques expressions qui ne sont pas tout à fait dans notre exactitude française. Nous ne disons pas des encens au pluriel; nous ne disons point, comme on dit, je crois, en allemand, encenser à quelqu'un. Cette phrase n'est en usage que parmi quelques ministres réfugiés, qui tous ont un peu corrompu la pureté de la langue française. Voilà à peu près tout ce que ma pédanterie grammaticale peut critiquer dans cet ouvrage charmant, que je chéris comme homme, comme poëte, comme serviteur bien tendrement attaché à votre auguste personne.
Que je suis enchanté quand je vois un prince, né pour régner, dire :
Ta clémence et ton équité,
Ces limites de ta puissance.
Voilà deux vers que j'admirerais dans le meilleur poëte, et qui me transportent dans un prince. Vous faites, comme Marc-Aurèle, la satire des cours par votre exemple et par vos écrits, et vous avez, par-dessus lui, le mérite de dire en beaux vers, dans une langue étrangère, ce qu'il disait assez sèchement dans sa langue propre.
Si la tendresse respectable qui a dicté cette ode ne m'avait enlevé mon premier suffrage, je pourrais le donner à l'ode. Enfin il y a plus d'imagination; et le mérite de la difficulté surmontée, qu'on doit
a Voyez t. XIV, p. 50 et 51.