<221>La première chose dont je me sens forcé de parler est la manière dont vous pensez sur Machiavel. Comment ne seriez-vous point ému de cette colère vertueuse où vous êtes presque contre moi, de ce que j'ai loué le style d'un méchant homme? C'était aux Borgia, père et fils, et à tous ces petits princes qui avaient besoin de crimes pour s'élever, à étudier cette politique infernale; il est d'un prince tel que vous de la détester. Cet art, qu'on doit mettre à côté de celui des Locuste et des Brinvilliers,a a pu donner à quelques tyrans une puissance passagère, comme le poison peut procurer un héritage; mais il n'a jamais fait ni de grands hommes, ni des hommes heureux; cela est bien certain. A quoi peut-on donc parvenir par cette politique affreuse? Au malheur des autres et au sien même. Voilà les vérités qui sont le catéchisme de votre belle âme.

Je suis si pénétré de ces sentiments, qui sont vos idées innées, et dont le bonheur des hommes doit être le fruit, que j'oubliais presque de rendre grâce à V. A. R. de la bonté qu'elle a de s'intéresser à mes maux particuliers. Mais ne faut-il pas que l'amour du bien public marche le premier? Vous joignez donc, monseigneur, à tant de bienfaits celui de daigner consulter pour moi des médecins. Je ne sais qu'une seule chose aussi singulière que cette bonté, c'est que les médecins vous ont dit vrai. Il y a longtemps que je suis persuadé que ma maladie, s'il est permis de comparer le mal avec le bien, est, tout comme mon attachement à votre personne, une affaire pour la vie.

Les consolations que je goûte dans ma délicieuse retraite et dans l'honneur de vos lettres sont assez fortes pour me faire supporter des douleurs encore plus grandes. Je souffre très-patiemment; et, quoique les douleurs soient quelquefois longues et aiguës, je suis très-éloigné de me croire malheureux. Ce n'est pas que je sois stoïcien; au contraire, c'est parce que je suis très-épicurien, parce que je crois la douleur un mal et le plaisir un bien, et que, tout bien compté et


a Voyez t. XIV, p. 196.