57. DE VOLTAIRE.
(Cirey) juin 1738.
Monseigneur, quand j'ai reçu le nouveau bienfait dont Votre Altesse Royale m'a honoré, j'ai songé aussitôt à lui payer quelques nouveaux tributs. Car, quand le prince enrichit ses sujets, il faut bien que leurs taxes augmentent. Mais, monseigneur, je ne pourrai jamais vous rendre ce que je dois à vos bontés. Le dernier fruit de votre loisir est l'ouvrage d'un vrai sage, qui est fort au-dessus des philosophes; votre esprit sait d'autant mieux douter, qu'il sait mieux approfondir. Rien n'est plus vrai, monseigneur, que nous sommes dans ce monde sous la direction d'une puissance aussi invisible que forte, à peu près comme des poulets qu'on a mis en mue pour un certain temps, pour les mettre à la broche ensuite, et qui ne comprendront jamais par quel caprice le cuisinier les fait ainsi encager. Je parie que si ces poulets raisonnent, et font un système sur leur cage, aucun ne devinera que c'est pour être mangés qu'on les a mis là. V. A. R. se moque avec raison des animaux à deux pieds qui pensent savoir tout. Il n'y a qu'un bonnet d'âne à mettre sur la tête d'un savant qui croit savoir bien ce que c'est que la dureté, la cohérence, le ressort, l'électricité; ce qui produit les germes, les sentiments, la faim; ce qui fait digérer; enfin qui croit connaître la matière, et, qui pis est, l'esprit. Il y a certainement des connaissances accordées à l'homme; nous savons mesurer, calculer, peser, jusqu'à un certain point. Les vérités géométriques sont indubitables, et c'est déjà beaucoup; nous savons, à n'en pouvoir douter, que la lune est beaucoup plus petite que la terre, que les planètes font leur cours suivant une proportion réglée, qu'il ne saurait y avoir moins de trente millions de lieues de trois mille pas d'ici au soleil; nous prédisons les éclipses, etc. Aller plus