<246> les particuliers. Chacun a reçu de la nature l'envie de s'agrandir; une occasion paraît s'offrir, un intrigant la fait valoir; une femme gagnée par de l'argent, ou par quelque chose qui doit être plus fort, s'oppose à la négociation; une autre la renoue; les circonstances, l'humeur, un caprice, une méprise, un rien décide. Si la duchesse de Marlborough n'avait pas jeté une jatte d'eau au nez de mylady Masham et quelques gouttes sur la reine Anne, la reine Anne ne se fût point jetée entre les bras des torys, et n'eût point donné à la France une paix sans laquelle la France ne pouvait plus se soutenir.a
M. de Torcy m'a juré qu'il ne savait rien du testament du roi d'Espagne Charles II; que, quand la chose fut faite, on assembla un conseil extraordinaire à Versailles, pour savoir si on accepterait le testament qui allait changer la face de l'Europe, et agrandir la maison de Bourbon, sans agrandir la France; ou si l'on s'en tiendrait à un traité de partage qui démembrerait la monarchie espagnole, et qui donnerait à la France toute la Flandre et la Lorraine. Le chancelier de Pontchartrain fut de ce dernier avis, et le soutint avec force. Louis XIV et son fils le grand Dauphin pensèrent en pères plus qu'en rois; le testament fut accepté, et de là suivit cette funeste guerre qui ébranla la monarchie espagnole et la monarchie française.
Il semble qu'il y ait un génie malin qui se plaise à confondre toutes les espérances des hommes, et à jouer avec la fortune des empires. Qui aurait dit, il y a quatre ans, aux Florentins : Ce sera un homme de l'Austrasie qui sera votre prince,b les eût bien étonnés.
On croit dans l'Europe que le système de Law en France avait fait couler dans les coffres du Régent tout l'argent du royaume; et je vois que cette opinion a passé jusqu'à V. A. R. Assurément elle est bien vraisemblable; mais le fait est que Law, qui était venu en
a Voyez t. I, p. 140; t. VIII, p. 171 et 322; et t. XV, p. 13.
b François-Etienne de Lorraine, qui succéda à Jean-Gaston, grand-duc de Toscane, le 9 juillet 1737. Voyez t. II, p. 13.