<305>persécution et à l'envie. Je ne hais point mon pays, je respecte et j'aime le gouvernement sous lequel je suis né; mais je souhaiterais seulement pouvoir cultiver l'étude avec plus de tranquillité et moins de crainte.
Si l'abbé Desfontaines et ceux de sa trempe, qui me persécutent, se contentaient de libelles diffamatoires, encore passe; mais il n'y a point de ressorts qu'ils ne fassent jouer pour me perdre. Tantôt ils font courir des écrits scandaleux, et me les imputent; tantôt des lettres anonymes aux ministres, des histoires forgées à plaisir par Rousseau, et consommées par Desfontaines; de faux dévots se joignent à eux, et couvrent du zèle de la religion leur fureur de nuire. Tous les huit jours je suis dans la crainte de perdre la liberté ou la vie; et, languissant dans une solitude, et dans l'impuissance de me défendre, je suis abandonné par ceux même à qui j'ai fait le plus de bien, et qui pensent qu'il est de leur intérêt de me trahir. Du moins, un coin de terre dans la Hollande, dans l'Angleterre, chez les Suisses ou ailleurs, me mettrait à l'abri, et conjurerait la tempête; mais une personne trop respectable a daigné attacher sa vie heureuse à des jours si malheureux; elle adoucit tous mes chagrins, quoiqu'elle ne puisse calmer mes craintes.
Tant que j'ai pu, monseigneur, j'ai caché à V. A. R. la douleur de ma situation, malgré la bonté qu'elle avait elle-même d'en plaindre l'amertume; je voulais épargner à cette âme généreuse des idées si désagréables; je ne songeais qu'aux sciences qui font vos délices; j'oubliais l'auteur que vous daignez aimer. Mais enfin ce serait trahir son protecteur de lui cacher sa situation. La voilà telle qu'elle est. Horace dit :Durum! sed levius fit patientia;a et moi je dis :
Durum! sed levius fit per Federicum.a Odes, livre I, ode 24, v. 19.