<310>J'ai été vivement touché des persécutions qu'on vous a suscitées; ce sont des tempêtes qui ôtent pour un temps le calme à l'Océan, et je souhaiterais bien d'être le Neptune de l'Énéide, afin de vous procurer la tranquillité que je vous souhaite très-sincèrement. Souffrez que je vous rappelle ces deux beaux vers de l'Épître à Émilie, où vous vous faites si bien votre leçon :

Tranquille au haut des cieux que Newton s'est soumis,
Il ignore en effet s'il a des ennemis,a

Laissez au-dessous de vous, croyez-moi, cet essaim méprisable et abject d'ennemis aussi furieux qu'impuissants. Votre mérite, votre réputation, vous servent d'égide. C'est en vain que l'envie vous poursuivra; ses traits s'émousseront et se briseront tous contre l'auteur de la Henriade, en un mot, contre Voltaire. De plus, si le dessein de vos ennemis est de vous nuire, vous n'avez pas lieu de les redouter, car ils n'y parviendront jamais; et, s'ils cherchent à vous chagriner, comme cela paraît plus apparent, vous ferez très-mal de leur donner cette satisfaction. Persuadé de votre mérite, enveloppé de votre vertu, vous devez jouir de cette paix douce et heureuse qui est ce qu'il y a de plus désirable en ce monde. Je vous prie d'en prendre la résolution. Je m'y intéresse par amitié pour vous, et par cet intérêt que je prends à votre santé et à votre vie.

Mandez-moi, je vous prie, où, par qui et comment je dois faire parvenir ce que je vous destine et à la marquise. Tout est emballé; agissez rondement, et mandez-moi, comme je le souhaite, ce que vous trouvez de plus expédient.

La marquise me demande si j'ai reçu l'extrait de Newton qu'elle a fait. J'ai oublié de lui répondre sur cet article. Dites-lui, je vous prie, que Thieriot me l'avait envoyé, et qu'il m'a charmé comme tout ce qui vient d'elle. En vérité, elle en fait trop; elle veut nous


a Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XIII, p. 124. Voyez ci-dessus, p. 24.