<323>Je suis avec le plus profond respect et la plus grande vénération, monseigneur, etc.

86. A VOLTAIRE.

Ruppin, 16 mai 1739.

Mon cher ami, j'ai reçu deux de vos lettres presque en même temps, et sur le point de mon départ pour Berlin, de façon que je ne puis répondre qu'en gros à toutes les deux.

Je vous ai une obligation infinie de ce que vous m'avez communiqué les changements que vous avez faits à la Henriade. Il n'y a que vous qui soyez supérieur à vous-même; tous les changements que je viens de lire sont très-bons, et je ne cesse de m'étonner de la force que la langue française prend dans vos ouvrages. Si Virgile fût né citoyen de Paris, il n'aurait pu rien faire d'approchant du combat de Turenne. Il y a un feu, dans cette description, qui m'enlève. Avouez-nous la vérité; vous y fûtes présent, à ce combat, vous l'avez vu de vos yeux, et vous avez écrit sur vos tablettes chaque coup d'épée porté, reçu et paré; vous avez noté chacun des gestes des champions, et, par cette force supérieure qu'ont les grands génies, vous avez lu dans leurs cœurs tout ce que pensaient ces vaillants combattants.

Le Carrache n'eût pas mieux dessiné les attitudes difficiles de ce duel; et Le Brun, avec tout son coloris, n'aurait assurément rien fait de semblable au petit portrait de la réfraction que fait l'aimable, le cher poëte philosophe.

L'endroit ajouté au chant septième est encore admirable et très-propre à occuper une place dans l'édition que je fais préparer de la Henriade. Mais, mon cher Voltaire, ménagez la race des bigots, et