<42>Vous faites à Berlin des vers français tels qu'on en faisait à Versailles du temps du bon goût et des plaisirs. Vous m'envoyez la Métaphysique de M. Wolff, et j'ose vous dire que V. A. R. a bien l'air de l'avoir traduite elle-même. Vous m'envoyez M. de Borcke dans le sein de ma solitude; vous savez combien un homme digne de votre bienveillance doit m'être cher. Je reçois à la fois quatre lettres de V. A. R. : le buste de Socrate est à Cirey. Je suis ébloui de tant de biens; j'ai une peine extrême à me recueillir assez pour vous remercier.

Les grandes passions parleront les premières; ces passions, monseigneur, sont vous et les vers :

Moderne Alcibiade, aimable et grand génie,
Sans avoir ses défauts, vous avez ses vertus.
Protecteur de Socrate, ennemi d'Anytus,
Vous ne redoutez point qu'on vous excommunie.
Je ne suis point Socrate; un oracle des dieux
Ne s'avisa jamais de me déclarer sage,
Et mon Alcibiade est trop loin de mes yeux.
C'est vous que j'aimerais, vous qui seriez mon maître.
Vous, contre la ciguë illustre et sûr appui,
Vous, sans qui tôt ou tard un Anytus, un prêtre.
Pourrait dévotement m'immoler comme lui.

Monseigneur, autrefois Auguste fit des vers pour Horace et pour Virgile; mais Auguste s'était souillé par des proscriptions. Charles IX fit des vers, et même assez jolis, pour Ronsard; mais Charles IX fut coupable d'avoir au moins permis la Saint-Barthélémy, pire que les proscriptions. Je ne vous comparerai qu'à notre Henri le Grand, à François Ier. Vous savez sans doute, monseigneur, cette charmante chanson de Henri le Grand pour sa maîtresse :a


a Voltaire parle de la fameuse chanson adressée par Henri IV à Gabrielle d'Estrées, et commençant par le vers :
     Charmante Gabrielle, etc.