<64>Il y aurait sur cela bien des choses à dire; mais ce serait porter de l'or au Pérou que de fatiguer V. A. R. de réflexions philosophiques.
Toute la métaphysique, à mon gré, contient deux choses : la première, tout ce que les hommes de bon sens savent; la seconde, ce qu'ils ne sauront jamais.
Nous savons, par exemple, ce que c'est qu'une idée simple, une idée composée; nous ne saurons jamais ce que c'est que cet être qui a des idées. Nous mesurons les corps; nous ne saurons jamais ce que c'est que la matière. Nous ne pouvons juger de tout cela que par la voie de l'analogie; c'est un bâton que la nature a donné à nous autres aveugles, avec lequel nous ne laissons pas d'aller et aussi de tomber.
Cette analogie m'apprend que les bêtes, étant faites comme moi, ayant du sentiment comme moi, des idées comme moi, pourraient bien être ce que je suis. Quand je veux aller au delà, je trouve un abîme, et je m'arrête sur le bord du précipice.
Tout ce que je sais, c'est que, soit que la matière soit éternelle (ce qui est bien incompréhensible), soit qu'elle ait été créée dans le temps (ce qui est sujet à de grands embarras), soit que notre âme périsse avec nous, soit qu'elle jouisse de l'immortalité, on ne peut dans ces incertitudes prendre un parti plus sage, plus digne de vous, que celui que vous prenez de donner à votre âme, périssable ou non, toutes les vertus, tous les plaisirs et toutes les instructions dont elle est capable, de vivre en prince, en homme et en sage, d'être heureux et de rendre les autres heureux.
Je vous regarde comme un présent que le ciel a fait à la terre. J'admire que, à votre âge, le goût des plaisirs ne vous ait point emporté, et je vous félicite infiniment que la philosophie vous laisse le goût des plaisirs. Nous ne sommes point nés uniquement pour lire Platon et Leibniz, pour mesurer des courbes, et pour arranger des faits dans notre tête; nous sommes nés avec un cœur qu'il faut remplir, avec des passions qu'il faut satisfaire, sans en être maîtrisés.