<65>Que je suis charmé de votre morale, monseigneur! Que mon cœur se sent né pour être le sujet du vôtre! J'éprouve trop de satisfaction de penser en tout comme vous.
V. A. R. me fait l'honneur de me dire, dans sa dernière lettre, qu'elle regarde le feu czar comme le plus grand homme du dernier siècle; et cette estime que vous avez pour lui ne vous aveugle pas sur ses cruautés. Il a été un grand prince, un législateur, un fondateur; mais, si la politique lui doit tant, quels reproches l'humanité n'a-t-elle pas à lui faire! On admire en lui le roi; mais on ne peut aimer l'homme. Continuez, monseigneur, et vous serez admiré et aimé du monde entier.
Un des plus grands biens que vous ferez aux hommes, ce sera de fouler aux pieds la superstition et le fanatisme, de ne pas permettre qu'un homme en robe persécute d'autres hommes qui ne pensent pas comme lui. Il est très-certain que les philosophes ne troubleront jamais les États. Pourquoi donc troubler les philosophes? Qu'importait à la Hollande que Bayle eût raison? Pourquoi faut-il que Jurieu, ce ministre fanatique, ait eu le crédit de faire arracher à Bayle sa petite fortune? Les philosophes ne demandent que de la tranquillité, ils ne veulent que vivre en paix sous le gouvernement établi; et il n'y a pas un théologien qui ne voulût être le maître de l'État. Est-il possible que des hommes qui n'ont d'autre science que le don de parler sans s'entendre et sans être entendus aient dominé et dominent encore presque partout?
Les pays du Nord ont cet avantage sur le midi de l'Europe, que ces tyrans des âmes y ont moins de puissance qu'ailleurs. Aussi les princes du Nord sont-ils, pour la plupart, moins superstitieux et moins méchants qu'ailleurs. Tel prince italien se servira du poison, et ira à confesse. L'Allemagne protestante n'a ni de pareils sots, ni de pareils monstres; et, en général, je n'aurais pas de peine à prou-