<72> Cet homme n'a ni foi ni loi. Cela vaut seul la décision d'un concile. On vous damne sans vous entendre, et on vous persécute sans vous connaître. D'ailleurs, attaquer la religion reçue dans un pays, c'est attaquer dans son dernier retranchement l'amour-propre des hommes, qui leur fait préférer un sentiment reçu et la foi de leurs pères à toute autre créance, quoique plus raisonnable que la leur.
Je pense comme vous, monsieur, sur M. Bayle. Cet indigne Jurieu, qui le persécutait, oubliait le premier devoir de toute religion, qui est la charité. M. Bayle m'a paru d'ailleurs d'autant plus estimable, qu'il était de la secte des académiciens, qui ne faisaient que rapporter simplement le pour et le contre des questions, sans décider témérairement sur des sujets dont nous ne pouvons découvrir que les abîmes.
Il me semble que je vous vois à table, le verre à la main, vous ressouvenir de votre ami. Il m'est plus flatteur que vous buviez à ma santé que de voir ériger en mon honneur les temples qu'on érigeait à Auguste. Brutus se contentait de l'approbation de Caton; les suffrages d'un sage me suffisent.
Que vous prêtez un secours puissant à mon amour-propre! Je lui oppose sans cesse l'amitié que vous avez pour moi; mais qu'il est difficile de se rendre justice! et combien ne doit-on pas être en garde contre la vanité à laquelle nous nous sentons une pente si naturelle!
Mon petit ambassadeur partira dans peu pour Cirey, muni d'un crédit et du portrait que vous voulez absolument avoir. Des occupations militaires ont retardé son départ. Il est comme le Messie annoncé; je vous en parle toujours, et il n'arrive jamais. C'est à lui que je vous prie de remettre tout ce que vous voudrez confier à ma discrétion. Je suis avec une très-parfaite estime, monsieur, etc.