82. AU MÊME.
Remusberg, 22 mars 1739.
Mon cher ami, je me suis trop pressé de vous découvrir mes projets de physique. Il faut l'avouer, ce trait sent bien le jeune homme qui, pour avoir pris une légère teinture de physique, se mêle de proposer des problèmes aux maîtres de l'art. J'en fais amende honorable en rougissant, et je vous promets que vous ne m'entendrez plus parler de périhélies, ni d'aphélies, qu'après m'en être bien instruit préalablement.311-a Passez cependant à un ignorant de vous faire une petite objection sur ce vide que vous supposez entre le soleil et nous.
Il me semble que, dans le Traité de la lumière, Newton dit que les rayons du soleil sont de la matière, et qu'ainsi il fallait qu'il y eût un<312> vide, afin que ces rayons pussent parvenir à nous en si peu de temps. Or, comme ces rayons sont matériels, et qu'ils occupent cet espace immense, tout cet intervalle se trouve donc rempli de cette matière lumineuse; ainsi il n'y a point de vide, et la matière subtile de Des Cartes, ou l'éther, comme il vous plaira de la nommer, est remplacée par votre lumière. Que devient donc le vide? Après ceci, n'attendez plus de moi un seul mot de physique.
Je suis un volontaire en fait de philosophie; je suis très-persuadé que nous ne découvrirons jamais les secrets de la nature; et, restant neutre entre les sectes, je peux les regarder sans prévention, et m'amuser à leurs dépens.
Je ne regarde point avec la même indifférence ce qui concerne la morale; c'est la partie la plus nécessaire de la philosophie, et qui contribue le plus au bonheur des hommes. Je vous prie de vouloir corriger la pièce que je vous envoie sur la Tranquillité;312-a ma santé ne m'a pas permis de faire grand' chose. J'ai, en attendant, ébauché cet ouvrage. Ce sont des idées croquées que la main d'un habile peintre devrait mettre en exécution.
J'attends le retour de mes forces pour commencer ma tragédie; je ferai ce que je pourrai pour réussir. Mais je sens bien que la pièce tout achevée ne sera bonne qu'à servir de papillotes à la marquise.
Je médite un ouvrage sur le Prince de Machiavel; tout cela roule encore dans ma tête, et il faudra le secours de quelque divinité pour débrouiller ce chaos.
J'attends avec impatience la Henriade; mais je vous demande instamment de m'envoyer la critique des endroits que vous retranchez. Il n'y aurait rien de plus instructif ni de plus capable de former le goût que ces remarques. Servez-vous, s'il vous plaît, de la voie de Michelet312-b pour me faire tenir vos lettres; c'est la meilleure de toutes.
<313>Mandez-moi, je vous prie, des nouvelles de votre santé; j'appréhende beaucoup que ces persécutions et ces affaires continuelles qu'on vous fait ne l'altèrent plus qu'elle ne l'est déjà. Je suis avec bien de l'estime, mon cher ami, etc.
311-a Cette phrase manque dans l'édition de Kehl; mais elle se trouve dans les Œuvres posthumes, t. IX, p. 50 et 51.
312-a Stances irrégulières sur la Tranquillité. Voyez t. XI, p. 71.
312-b Voyez t. XVI, p. 402, et t. XIX, p. 449.