193. A VOLTAIRE.
Remusberg, 13 octobre 1742.
J'étais justement occupé à la lecture de cette histoirea réfléchie, impartiale, dépouillée de tous les détails inutiles, lorsque je reçus votre lettre. La première espérance que je conçus fut de recevoir la suite des cahiers. Le peu que j'en ai me fait naître le désir d'en avoir davantage. Il n'y a point d'ouvrage chez les anciens qui soit aussi capable que le vôtre de donner des idées justes, de former le goût, d'adoucir et de polir les mœurs. Il sera l'ornement de notre siècle, et un monument qui attestera à la postérité la supériorité du génie des modernes sur les anciens. Cicéron disait qu'il ne concevait pas comment les augures faisaient pour s'empêcher de rire quand ils se regardaient :b vous faites plus, vous mettez au grand jour les ridicules et les fureurs du clergé.
Le siècle où nous vivons fournit des exemples d'ambition, des exemples de courage, etc.; mais j'ose dire, à son honneur, qu'on n'y voit aucune de ces actions barbares et cruelles qu'on reproche aux précédents; moins de fourberies, moins de fanatisme, plus d'humanité et de politesse. Après la guerre de Pharsale, il n'y eut jamais de plus grands intérêts discutés que dans la guerre présente; il s'agit de la prééminence des deux plus puissantes maisons de l'Europe chrétienne, il s'agit de la ruine de l'une ou de l'autre; ce sont de ces coups de théâtre qui méritent d'être rapportés par votre plume, et de trouver place à la suite de l'histoire que vous vous proposez d'écrire.
Je regrette ces maux dont le monde est couvert,
Ces nœuds que la Discorde a su l'art de dissoudre;
a Essai sur les mœurs et l'esprit des nations. (Note de l'édition de Kehl, t. LXV, p. 134.)
b De la Divination, liv. II, c. 24 : Vetus autem illud Catonis admodun scitum est, qui mirari se ajebat, quod non rideret haruspex, haruspicem quum vidisset.