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222. DE VOLTAIRE.

Paris, 5 février 1747.

Sire, eh bien! vous aurez Sémiramis; elle n'est pas à l'eau rose; c'est ce qui fait que je ne la donne pas à notre peuple de Sybarites, mais à un roi qui pense comme on pensait en France du temps du grand Corneille et du grand Condé, et qui veut qu'une tragédie soit tragique, et une comédie comique.

Dieu me préserve, Sire, de faire imprimer l'Histoire de la guerre de 1741! Ce sont de ces fruits que le temps seul peut mûrir; je n'ai fait assurément ni un panégyrique, ni une satire; mais plus j'aime la vérité, et moins je dois la prodiguer. J'ai travaillé sur les mémoires et sur les lettres des généraux et des ministres. Ce sont des matériaux pour la postérité; car sur quels fondements bâtirait-on l'histoire, si les contemporains ne laissaient pas de quoi élever l'édifice? César écrivit ses Commentaires, et vous écrivez les vôtres; mais où sont les acteurs qui puissent ainsi rendre compte du grand rôle qu'ils ont joué? Le maréchal de Broglie était-il homme à faire des Commentaires? Au reste, Sire, je suis très-loin d'entrer dans cet horrible et ennuyeux détail de journaux de siéges, de marches, de contremarches, de tranchées relevées, et de tout ce qui fait l'entretien d'un vieux major et d'un lieutenant-colonel retiré dans sa province. Il faut que la guerre soit par elle-même quelque chose de bien vilain, puisque les détails en sont si ennuyeux. J'ai tâché de considérer cette folie humaine un peu en philosophe. J'ai représenté l'Espagne et l'Angleterre dépensant cent millions à se faire la guerre pour quatre-vingt-quinze mille livres portées en compte; les nations détruisant réciproquement le commerce pour lequel elles combattent; la guerre au sujet de la pragmatique devenue comme une maladie qui change