307. DU MÊME.
(Août 1752.)
Sire, vos réflexions valent bien mieux que mon ouvrage. J'ai eu bien raison de dire quelque part que vous étiez le meilleur logicien que j'aie jamais entendu. Vous m'épouvantez; j'ai bien peur, pour le genre humain et pour moi, que vous n'ayez tristement raison. Il serait affreux pourtant qu'on ne pût pas se tirer de là. Tâchez, Sire, de n'avoir pas tant raison; car encore faut-il bien, quand vous faites de Potsdam un paradis terrestre, que ce monde-ci ne soit pas absolument un enfer. Un peu d'illusion, je vous en conjure. Daignez m'aider à me tromper honnêtement. Au bout du compte, les sottises sont traitées ici comme elles le méritent, mais j'ai enfoncé le poignard avec respect. Le véritable but de cet ouvrage est la tolérance, et votre exemple à suivre. La religion naturelle est le prétexte, et quand cette religion naturelle se bornera à être bon père, bon ami, bon voisin, il n'y aura pas grand mal. Je me doute bien que l'article des remords est un peu problématique; mais encore vaut-il mieux dire avec Cicéron, Platon, Marc-Aurèle, etc., que la nature nous donne des remords, que de dire avec La Mettrie qu'il n'en faut point avoir.
Je conçois très-bien qu'Alexandre, nommé général des Grecs, n'ait point eu plus de scrupule d'avoir tué des Persans à Arbèles que V. M. n'en a eu d'avoir envoyé quelques impertinents Autrichiens dans l'autre monde. Alexandre faisait son devoir en tuant des Persans à la guerre; mais certainement il ne le faisait pas en assassinant son ami après souper.
Au reste, il s'en faut beaucoup que l'ouvrage soit achevé. Je profite déjà des remarques dont vous daignez m'honorer. Je supplierai V. M. de vouloir bien me le renvoyer avant qu'elle parte pour la Si-