<55>Aurèle pour la chicane; mais, Sire, quel homme est le maître de ses actions? Vous-même, n'avez-vous pas un fardeau immense à porter, qui vous empêche souvent de satisfaire vos goûts en remplissant vos devoirs sacrés? Je suis, etc.

153. A VOLTAIRE.a

Remusberg, 26 octobre 1740.

Mon cher Voltaire, l'événement le moins prévu du monde m'empêche, pour cette fois, d'ouvrir mon âme à la vôtre comme d'ordinaire, et de bavarder comme je le voudrais. L'Empereur est mort.

Ce prince, né particulier,
Fut roi, puis empereur; Eugène fut sa gloire;
Mais, par malheur pour son histoire,
Il est mort en banqueroutier.

Cette mort dérange toutes mes idées pacifiques, et je crois qu'il s'agira, au mois de juin, plutôt de poudre à canon, de soldats, de tranchées, que d'actrices, de ballets et de théâtre; de façon que je me vois obligé de suspendre le marché que nous aurions fait. Mon affaire de Liége est toute terminée; mais celles d'à présent sont de bien plus grande conséquence pour l'Europe; c'est le moment du changement total de l'ancien système de politique; c'est ce rocher détaché qui roule sur la figure des quatre métaux que vit Nabuchodonosor, et qui les détruisit tous.b Je vous suis mille fois obligé de l'impression de Machiavel achevée; je ne saurais y travailler à pré-


a Cette lettre est tirée des Œuvres posthumes, t. IX, p. 126 et 127.

b Daniel, chap. II. Voyez t. XXI, p. 186.