181. A VOLTAIRE.
Camp de Kuttenberg, 18 juin 1742.
Les palmes de la paix108-c font cesser les alarmes,
Au tranquille olivier nous suspendons nos armes.
Déjà l'on n'entend plus le sanguinaire son
Du tambour redoutable et du bruyant clairon;
Et ces champs que la Gloire, en exerçant sa rage.
Souillait de sang humain, de morts et de carnage,
Cultivés avec soin, fourniront dans trois mois
L'heureuse et l'abondante image
D'un pays régi par les lois.
Tous ces vaillants guerriers que l'intérêt du maître
Ou rendait ennemis, ou le faisait paraître,
De la douce amitié resserrant les liens,
Se prêtent des secours et partagent leurs biens.
La Mort l'apprend, frémit, et ce monstre barbare,
De la Discorde en vain secouant les flambeaux,
Se replonge dans le Tartare,
Attendant des crimes nouveaux.
O Paix! heureuse Paix! répare sur la terre
Tous les maux que lui fait la destructive guerre;
Et que ton front paré de renaissantes fleurs,
Plus que jamais serein, prodigue tes faveurs!
Mais, quel que soit l'espoir sur lequel tu te fonde,
Pense que tu n'auras rien fait,
Si tu ne peux bannir deux monstres de ce monde.
L'Ambition et l'Intérêt.109-a
J'espère que, après avoir fait ma paix avec les ennemis, je pourrai à mon tour la faire avec vous. Je demande le Siècle de Louis XIV pour la sceller de votre part, et je vous envoie la relation que j'ai faite moi-même de la dernière bataille,109-b comme vous me la demandez.
Je ne puis vous entretenir encore, jusqu'à présent, que de marches, de retraites honteuses, de poursuites, de coïonneries, et de toutes sortes d'événements qui, pour rouler sur des matières fort graves, n'en sont pas moins ridicules.
La santé de Rottembourg commence à se rétablir; il est entière<110>ment hors de danger. Ne me croyez point cruel, mais assez raisonnable pour ne choisir un mal que lorsqu'il faut en éviter un pire. Tout homme qui se détermine à se faire arracher une dent, quand elle est cariée, livrera bataille lorsqu'il voudra terminer une guerre. Répandre du sang dans une pareille conjoncture, c'est véritablement le ménager; c'est une saignée que l'on fait à son ennemi en délire, et qui lui rend son bon sens.
Adieu, cher Voltaire; croyez toujours, et jusqu'à ce que je vous dise le contraire, que je vous estime et aimerai toute ma vie.
108-c Les préliminaires de la paix furent signés à Breslau le 11 juin 1742. Voyez t. II, p. 145.
109-a Ces vingt-cinq vers se trouvent aussi en tête de la lettre du Roi à Jordan, du 18 juin 1742. Voyez t. XVII, p. 254 et 255.
109-b Voyez t. II, p. II et III, et p. 161-169.