401. DE VOLTAIRE.
(Ferney) 3 mars 1767.
Sire, j'entends très-bien l'aventure des Deux Chiens, et je l'entends d'autant mieux, que je suis un peu mordu. Mes petites possessions touchent aux portes de Genève. Tout commerce est interrompu par cette ridicule guerre; elle n'ensanglante pas encore la terre, mais elle la ruine. Vos chiens répondent très-pertinemment à nos héros français et bernois. Il est certain que si les animaux raisonnaient avec les hommes, ils auraient toujours raison, car ils suivent la nature, et nous l'avons corrompue.
A l'égard du Violon, je crains de n'entendre pas le mot de l'énigme. Est-ce le roi de Pologne, qui, ne pouvant pas lui-même venir à bout de ses évêques, s'est voulu secrètement appuyer de V. M., de la Russie, de l'Angleterre et du Danemark, et qui n'est actuellement appuyé que de la Russie? Est-ce l'impératrice de Russie, qui soutient seule à présent le fardeau qu'elle avait voulu partager avec trois puissances?
Il me paraît que je tourne autour du mot de l'énigme; mais je peux me tromper; vous savez que je ne suis pas grand politique.
Votre alliée l'Impératrice a eu la bonté de m'envoyer son mémoire justificatif,a qui m'a semblé bien fait. C'est une chose assez plaisante, et qui a l'air de la contradiction, de soutenir l'indulgence et la tolérance les armes à la main; mais aussi l'intolérance est si odieuse, qu'elle mérite qu'on lui donne sur les oreilles. Si la superstition a fait si longtemps la guerre, pourquoi ne la ferait-on pas à la superstition? Hercule allait combattre les brigands, et Bellérophon les Chimères; je ne serais pas fâché de voir des Hercules et des Bellérophons délivrer la terre des brigands et des chimères catholiques.
Quoi qu'il en soit, vos deux contes sont bien plaisants; votre
a Manifeste sur les dissensions de Pologne.