<207> laisser entrevoir la vérité? Il faut avouer que l'auteur du Système de la nature a trop impudemmenta cassé les vitres. Ce livre a fait beaucoup de mal; il a rendu la philosophie odieuse par de certaines conséquences qu'il tire de ses principes. Et peut-être à présent faut-il de la douceur et du ménagement pour réconcilier avec la philosophie les esprits que cet auteur avait effarouchés et révoltés.

Il est certain qu'à Pétersbourg on se scandalise moins qu'à Paris, et que la vérité n'est point rejetée du trône de votre souveraine, comme elle l'est chez le vulgaire de nos princes. Mon frère Henri se trouve actuellement à la cour de cette princesse. Il ne cesse d'admirer les grands établissements qu'elle a faits, et les soins qu'elle se donne de décrasser, d'élever et d'éclairer ses sujets.

Je ne sais ce que vos ingénieurs sans génie ont fait aux Dardanelles; ils sont peut-être cause de l'exil de Choiseul. A l'exception du cardinal de Fleury, Choiseul a tenu plus longtemps qu'aucun autre ministre de Louis XV. Lorsqu'il était ambassadeur à Rome, Benoît XIVb le définissait : un fou qui avait bien de l'esprit. On dit que les parlements et la noblesse le regrettent, et le comparent à Richelieu; en revanche, ses ennemis disent que c'était un boute-feu qui aurait embrasé l'Europe.c Pour moi, je laisse raisonner tout le monde. Choiseul n'a pu me faire ni bien ni mal; je ne l'ai point connu; et je me repose sur les grandes lumières de votre monarque pour le choix et le renvoi de ses ministres et de ses maîtresses. Je ne me mêle que de mes affaires et du carnaval, qui dure encore.

Nous avons un bon opéra, et, à l'exception d'une seule actrice, mauvaise comédie. Vos histrions velches se vouent tous à l'opéra-comique; et des platitudes mises en musique sont chantées par des


a Imprudemment. (Variante des Œuvres posthumes, t. X, p. 79.)

b Innocent XIII. (Variante des Œuvres posthumes, t. X, p. 80.) Choiseul, né en 1719, ne fut ambassadeur à Rome que sous le pontificat de Benoît XIV, qui l'accueillit avec distinction.

c Voyez t. XIV, p. XVI, 205 et 273.