<222>Oh! pour la guerre, M. de Voltaire, il n'en est pas question. Messieurs les encyclopédistes m'ont régénéré. Ils ont tant crié contre ces bourreaux mercenaires qui changent l'Europe en un théâtre de carnage, que je me garderai bien, à l'avenir, d'encourir leurs censures. Je ne sais si la cour de Vienne les craint autant que je les respecte; mais j'ose croire toutefois qu'elle mesurera ses démarches.

Ce qui paraît souvent en politique le plus vraisemblable l'est le moins. Nous sommes comme des aveugles, nous allons à tâtons; et nous ne sommes pas aussi adroits que les Quinze-Vingts, qui connaissent, à ne s'y pas tromper, les rues et les carrefours de Paris. Ce qu'on appelle l'art conjectural n'en est pas un; c'est un jeu de hasard où le plus habile peut perdre comme le plus ignorant.

Après le départ du comte Orloff, nous avons eu l'apparition d'un comte autrichiena qui, lorsque j'allai me rendre en Moravie chez l'Empereur, m'a donné les fêtes les plus galantes. Ces fêtes ont donné lieu aux vers que je vous envoie;b elles y sont décrites avec vérité. Je n'ai pas négligé d'y crayonner le caractère du comte Hoditz, qui se trouve peint d'après nature.

Votre impératrice en a donné de plus superbes à mon frère Henri. Je ne crois pas qu'on puisse la surpasser en ce genre : des illuminations durant un chemin de quatre milles d'Allemagne, des feux d'artifice qui surpassent tout ce qui nous est connu, selon les descriptions qu'on m'en a faites, des bals de trois mille personnes, et surtout l'affabilité et les grâces que votre souveraine a répandues comme un assaisonnement à toutes ces fêtes, en ont beaucoup relevé l'éclat.

A mon âge, les seules fêtes qui me conviennent sont les bons livres. Vous, qui en êtes le grand fabricateur, vous répandez encore quelque sérénité sur le déclin de mes jours. Vous ne vous devez donc pas étonner que je m'intéresse, autant que je le fais, à la conservation


a Voyez t. XX, p. XVI-XVIII, et p. 267 et suivantes.

b Voyez t. XIII, p. 80-85.