<347> région supérieure à nos sens. J'honore le génie dans toutes les routes qu'il se fraye, et quoiqu'un géomètre soit un sage dont je n'entends pas la langue, je me plains de mon ignorance, et je ne l'en estime pas moins.
Ce Maupertuis, que vous haïssez encore, avait de bonnes qualités : son âme était honnête; il avait des talents et de belles connaissances. Il était brusque, j'en conviens; et c'est ce qui vous a brouillés ensemble. Je ne sais par quelle fatalité il arrive que jamais deux Français ne sont amis dans les pays étrangers. Des millions se souffrent les uns les autres dans leur patrie; mais tout change dès qu'ils ont franchi les Pyrénées, le Rhin, ou les Alpes. Enfin il est bien temps d'oublier les fautes quand ceux qui les ont commises n'existent plus. Vous ne reverrez Maupertuis qu'à la vallée de Josaphat, où rien ne vous presse d'arriver.
Jouissez longtemps encore de votre gloire dans ce monde-ci, où vous triomphez de la rivalité et de l'envie; de votre couchant répandez ces rayons de goût et de génie que vous seul pouvez transmettre du beau siècle de Louis XIV, auquel vous tenez de si près; répandez ces rayons sur la littérature, empêchez-la de dégénérer; et, s'il se peut, tâchez de réveiller le goût des sciences et des lettres, qui me paraît passer de mode et se perdre.
Voilà ce que j'attends encore de vous. Votre carrière surpassera celle de Fontenelle, car vous avez trop d'âme pour mourir sitôt. Nous avons ici mylord Marischal, âgé de quatre-vingt-cinq ans, aussi frais, aux jambes près, qu'un jeune homme; nous avons Pöllnitz, qui ne lui cède pas, et qui compte bien encore sur dix années de vie. Pourquoi l'auteur de la Henriade, de Mérope, de Sémiramis, etc., etc., n'irait-il pas aussi loin? Beaucoup d'huile dans la lampe en fait durer la lumière; eh! qui en eut plus que vous? Enfin, Apollon m'a révélé que nous vous garderons encore longtemps. Je lui ai fait mon humble prière, et lui ai dit : O seule divinité que j'implore! conser-