<387>que les nôtres. Il me paraît que vous jugez très-bien l'Allemagne, et cette foule de mots qui entrent dans une phrase, et cette multitude de syllabes qui entrent dans un mot, et ce goût qui n'est pas plus formé que la langue; les Allemands sont à l'aurore; ils seraient en plein jour, si vous aviez daigné faire des vers tudesques.
C'est une chose assez singulière que Le Kain et mademoiselle Clairon soient tous deux à la fois auprès de la maison de Brandebourg. Mais, tandis que le talent de réciter du français vient obtenir votre indulgence à Sans-Souci, Gluck vient nous enseigner la musique à Paris. Nos Orphées viennent d'Allemagne, si nos Roscius vous viennent de France. Mais la philosophie, d'où vient-elle? De Potsdam, Sire, où vous l'avez logée, et d'où vous l'avez envoyée dans la plus grande partie de l'Europe.
Je ne sais pas encore si notre roi marchera sur vos traces, mais je sais qu'il a pris pour ses ministres des philosophes, à un seul près, qui a le malheur d'être dévot.a
Nous perdons le goût, mais nous acquérons la pensée; il y a surtout un M. Turgot, qui serait digne de parler avec V. M. Les prêtres sont au désespoir. Voilà le commencement d'une grande révolution. Cependant on n'ose pas se déclarer ouvertement; on mine en secret le vieux palais de l'imposture, fondé depuis mille sept cent soixante-quinze années; si on l'avait assiégé dans les formes, on aurait cassé hardiment l'infâme arrêt qui ordonna l'assassinat du chevalier de La Barre et de Morival. On en rougit, on en est indigné, mais on s'en tient là; on n'a pas eu le courage de condamner ces exécrables juges à la peine du talion. On s'est contenté d'offrir une grâce dont nous n'avons point voulu. Il n'y a que vous de vraiment grand. Je remercie V. M. avec des larmes d'attendrissement et de joie. J'ai demandé à V. M. ses derniers ordres, et je les attends pour renvoyer à ses pieds ce Morival, dont j'espère qu'elle sera très-contente.
a Le comte de Muy.