<46> croire que cent personnes officieuses se sont empressées pour le lui procurer? Un lavement anodin, reçu sur un champ de bataille, en présence d'une armée, cela est certainement singulier; mais cela est vrai, et connu de tout le monde. Dans cette tragi-comédie que nous jouons, il arrive souvent des aventures bouffonnes qui ne ressemblent à rien, et qu'une paix de mille ans ne produirait pas; mais il faut avouer qu'elles sont cruellement achetées.
Je vous remercie de la consultation du médecin Tronchin. Je l'ai d'abord envoyée à mon frère, qui est à Schwedt, auprès de ma sœur; je lui ai recommandé de s'attacher scrupuleusement au régime qu'on lui prescrit. Je vous prie de demander ce que Tronchin voudrait d'argent pour faire le voyage; je ne veux rien négliger de ce que je puis contribuer à la guérison de ce cher frère; et, quoique j'aie aussi peu de foi pour les docteurs en médecine que pour ceux en théologie, je ne pousse pas l'incrédulité jusqu'à douter des bons effets que le régime peut procurer. Je les sens moi-même; je n'aurais pu supporter les affreuses fatigues que j'ai eues, si je ne m'étais mis à une diète qui paraît sévère à tous ceux qui m'approchent. Reste à savoir si la vie vaut la peine d'être conservée par tant de soins, et si ceux-là ne sont pas les plus sages et les plus heureux, qui l'usent tout de suite. C'est à M. Martin et à maître Panglossa à discuter cette matière, et à moi à me battre tant qu'on se battra.
Pour vous, qui êtes spectateur de la pièce sanglante qu'on joue, vous pourrez nous siffler tous tant que nous sommes. Grand bien vous fasse! Soyez persuadé que je n'envie pas votre bonheur; je suis convaincu que l'on ne peut jouir que lorsqu'on n'est en guerre ni de plume ni d'épée. Vale.
a Personnages du roman de Candide.