Alors un certain duc,a s'illustrant à jamais,b
Sauvera l'empire français
Sans capitaine, sans finance,
Sans Amérique, sans prudence,
Jusqu'en ses fondements sapé par les Anglais;
Couvrant tous ces sujets d'un voile de décence,
Et lâchant quelques mots remplis de complaisance,
Des cieux sur notre sphère il conduira la paix.
Moi, quittant le harnois, et le casque, et l'épée,
De trop de sang humain trempée,
Je partirai soudain d'ici;
J'irai, consolant ma vieillesse
Par l'étude de la sagesse,
M'ensevelir à Sans-Souci.
Ce lieu me vaut les Délices. Par illusion je croirai vivre hors du grand monde, et quelquefois j'y serai solitaire. Jouissez de votre ermitage. Ne troublez pas les cendres de ceux qui reposent au tombeau : que la mort au moins mette fin à vos injustes haines. Pensez que les rois, après s'être longtemps battus, font enfin la paix; ne pourrez-vous jamais la faire? Je crois que vous seriez capable, comme Orphée, de descendre aux enfers, non pas pour fléchir Pluton, non pas pour ramener la belle Émilie, mais pour poursuivre dans ce séjour de douleur un ennemi que votre rancune n'a que trop persécuté dans ce monde. Sacrifiez-moi votre vengeance, ou plutôt immolez-la à votre propre réputation; que le plus grand génie de la France soit aussi l'homme le plus généreux de sa nation. La vertu, votre devoir, vous parlent par ma bouche; n'y soyez pas insensible, et faites une action digne des belles maximes que vous débitez avec tant d'élégance et de force dans vos ouvrages.
Nous touchons à la fin de notre campagne; elle sera bonne, et je
a Le duc de Choiseul.
b Nous tirons ce vers et les deux précédents de notre t. XIII, p. 199.