546. DE VOLTAIRE.
Ferney, 21 mai 1776.
Sire, vous allez être étonné en jetant les yeux sur la petite brochure que j'envoie à V. M.;428-a devineriez-vous qu'elle est de monsieur le landgrave de Hesse? Son génie s'est déployé depuis qu'il est devenu votre neveu,428-b et qu'il a lu vos ouvrages. Je ne sais pas positivement s'il avoue ce petit livre; mais je sais certainement qu'il est de lui; c'est un tableau qu'on reconnaîtra aisément pour être d'un peintre de votre école. Vous avez fait naître un nouveau siècle, vous avez formé des hommes et des princes. Dans combien de genres votre nom n'étonnera-t-il pas la postérité!
Nous avons grand besoin que Votre Majesté philosophique règne longtemps; nous avions chez les Velches deux ministres philosophes; les voilà tous deux à la fois exclus du ministère; et qui sait si les scènes des La Barre et des d'Étallonde ne se renouvelleront pas dans notre malheureux pays? La Raison commence à se faire un parti si nombreux, que ses ennemis se mettent sous les armes, et on sait combien ces armes sont dangereuses. Il faudra que cette malheureuse Raison vienne se réfugier dans vos États avec ses disciples, comme les<429> protestants vinrent chercher un asile chez le Roi votre grand-père. Depuis que je suis au monde, je n'ai vu cette Raison que persécutée; je la laisserai sans doute dans le même état; mais je me consolerai en me flattant qu'elle a un appui inébranlable dans le héros qui a dit :429-a
Mais, quoique admirateur d'Alexandre et d'Alcide,
J'eusse aimé mieux pourtant les vertus d'Aristide.
Je me mets aux pieds de l'Alcide et de l'Aristide de nos jours.
428-a Pensées diverses sur les princes (par le landgrave Frédéric). Lausanne, 1776, in-8 de dix-neuf pages.
428-b Voyez ci-dessus, p. 269.
429-a Épître à mon Esprit. Voyez t. X, p. 258, et ci-dessus, p. 84, 350 et 366.