<129> plus de fortune à mon âge. Peut-être aurez-vous su, madame, par des bruits publics, qu'une certaine entrevue devait avoir lieu. Quoique dans le fond ce soit une chose assez indifférente, je ne suis pas fâché de vous rendre compte comment ce projet a échoué.a On m'avait mandé de Vienne que l'on paraissait souhaiter une entrevue entre l'Empereur et moi; à quoi je me prêtais d'autant plus volontiers, que j'avais entendu généralement beaucoup de bien de l'Empereur, que je regardais cette entrevue comme un moyen de mettre fin aux haines que de longs démêlés laissent entre les maisons, que, ayant un cœur reconnaissant, je n'ai pas l'âme implacable, et que, loin de penser comme le Dieu de Jacob, qui poursuit jusqu'à la quatrième génération les prévarications des pères, j'aime mieux me réconcilier avec mes ennemis. Partant de ces principes, le comte Finck dit à M. Nugentb que, l'Empereur passant si près de mes frontières, je saisirais volontiers cette occasion pour faire sa connaissance et pour l'assurer de mon estime. M. Nugent envoya un courrier à Vienne, et comme la réponse n'arrivait point, il dit qu'il irait lui-même à Dresde, d'où il manderait de quelle façon cela pourrait s'arranger. Mes chevaux étaient commandés; mais Nugent, au lieu de répondre à la commission qu'on lui avait donnée, se borna à envoyer l'itinéraire de l'Empereur, par lequel il était marqué qu'il ne s'arrêterait nulle part. J'ai pris cette réponse sèche pour un refus, et je me le suis tenu pour dit. Voilà, madame, comment une certaine fatalité se joue de tous nos desseins. Nous sommes les marionnettes de la Providence, qui va son train, en se moquant de notre vaine sagesse.c J'en ai la conscience nette, et je me borne à l'estime que je ne puis refuser aux grandes qualités de l'Empereur, sans prétendre à le con-
a Voyez t. VI, p. 18.
b Le général baron de Nugent, envoyé impérial à Berlin depuis le mois d'octobre 1764 jusqu'au mois de mai 1770.
c Voyez t. X, p. 125-135.