<164> pour causer de l'émulation à ceux qui négligent leur âme et leurs talents. On dirait que V. A. R. sort de l'école des stoïciens; leur archétype, d'après lequel ils avaient peint leur sage, vous a sans doute, madame, servi de modèle pour votre héros. Il est bon de se proposer de grands exemples de perfection, quand même on n'y saurait atteindre. Je m'instruirai, madame, à votre école; j'aurai sans cesse devant les yeux ce modèle d'héroïsme, quoique je sente de quelle immense distance j'en suis éloigné. Pour peu que je fasse de progrès, je me regarderai comme l'heureux ouvrage de vos mains, et je me flatte de m'attirer vos bontés, parce que vous me regarderez comme une de vos productions.

Tandis que je me propose de profiter de vos excellents préceptes, les grandes puissances, pour se désennuyer, font la guerre aux pauvres jésuites, qui vont bientôt être bannis de la moitié de l'Europe. Ce qui m'étonne dans la conduite de ces rois, c'est qu'ils suivent les institutions du saint-office, et qu'ils s'approprient les dépouilles des proscrits, sans doute pour se consoler de leur perte. Tout hérétique que je suis, je me garde bien de suivre leur exemple, et je laisserai cet ordre en paix, tant qu'il ne voudra point se mêler du temporel, ni égorger moi ou mes proches. On entretient dans des cirques, pour des combats de bêtes, des tigres et des lions; pourquoi ne tolérerait-on pas de même des jésuites?a L'animal le plus sociable doit se comporter avec tous les autres animaux, et l'on peut vivre avec des jésuites, des bonzes, des talapoins, des imans, des rabbins, sans les mordre et sans en être dévoré. Je me flatte que V. A. R. ne désapprouve pas ces sentiments, et qu'elle ne pense pas comme M. Boyer de Mirepoix,b qui, ayant la feuille des bénéfices en France, ne parlait qu'avec exclamation de l'abominable mot de tolérance. La plus grande folie qui caractérise notre espèce, c'est qu'elle se sert mutuel-


a Voyez t. XXIII, p. 467.

b Voyez t. XXII, p. 145.