<411> Sire, car ces géomètres ont un orgueil de Lucifer, que je me tiens bien pour aussi maltraité que Rehnsköld, mais non pas pour aussi battu; et j'ajouterai, en mettant le comble à l'orgueil, que, pour l'honneur de V. M. même, je serais bien fâché de l'avoir été. Non, Sire, un poëte qui pense autant que vous, et qui prend la peine d'exprimer en beaux vers ce qui ne perdrait rien à être dit en prose, n'empêchera jamais le sévère compas des géomètres de percer d'outre en outre des rimailleurs qui suent sang et eau pour nous apprendre en cadence qu'il fait jour en plein midi. Ce sont là les hommes à qui j'en veux, et avec qui je ne me réconcilierai pas en vous lisant.
Je crois donc sans peine ce que V. M. a eu la bonté de me faire dire, qu'elle n'a voulu que s'égayer un moment aux dépens des enfants d'Archimède, et surtout aux miens; et je le lui pardonne de tout mon cœur, en considérant qu'il est dans le monde des gens plus considérables que nous, qui calculent encore plus mal, et dont V. M. sait encore mieux se moquer. Aussi je soupçonne que ces messieurs-là en sont un peu plus fâchés que moi; et je trouverais assez que V. M. a de quoi rire, si par contre-coup mon pauvre pays n'avait pas de quoi pleurer.
L'apologie que fait V. M. de la poésie pastoralea me paraît bien naturelle dans un prince qui mène depuis six ans une vie aussi champêtre; jamais souverain n'eut autant de droit que vous d'en prendre le parti. Pour moi, Sire, qui n'ai pas eu l'honneur, comme V. M. et César, de passer avec les moutons les nuits d'été à la belle étoile, je ne puis prendre le même plaisir aux productions moutonnières en tout sens des faiseurs d'églogues modernes. Je suis bien honteux, pardonnez-moi cette citation, de ressembler au philosophe Zadig, qui ne s'intéresse au mouton que quand il est tendre;b et ce qui me
a Voyez t. IX, p. 72.
b Nous n'avons trouvé dans Zadig, ou la destinée, par Voltaire, aucun passage auquel cette citation puisse se rapporter.