<459>Je reçois de temps en temps, comme V. M., d'assez violents mémoires contre ...; si cela continue, elle sera bientôt plus digne de pitié que de haine, car on l'écorche sans miséricorde. Ce qu'il y a de plaisant, c'est que l'auteur de ces mémoires, à chaque coup d'étrivières qu'il donne à la pauvre ..., a peur, dès que le coup est lâché, que la justice ne le lui rende au centuple, et passe sa vie, comme saint Pierre, à renier et à se repentir.a
A propos de saint Pierre, on dit que son patrimoine pourrait être bientôt à vendre. V. M. devrait l'acheter; je serais bien flatté de recevoir d'elle un bref d'indulgences, que je me flatte qu'elle ne me refuserait pas. La vérité est que le vicaire de Jésus-Christ est, dit-on, prêt à faire banqueroute, qu'on meurt de faim à Rome, que le saint-père a fait fermer l'Opéra pour apaiser la colère de Dieu, et que les anciens Romains, qui ne demandaient que du pain et des spectacles,b trouveraient fort à plaindre les Romains modernes, qui n'ont ni l'un ni l'autre.
M. de Stainville, qui traitait si mal la nation française aux eaux de Spa, comme je l'ai su il y a trois ans de V. M., vient de traiter encore plus mal sa femme, qu'il a fait enfermer, parce qu'elle voulait lui donner pour enfants ceux d'un histrion. Si tous les maris qui sont dans le même cas faisaient autant de train, nos femmes du bel air seraient en effet hors du commerce.
Le père de M. de la Grange est inquiet de ne point recevoir de ses nouvelles; il craint que leurs lettres réciproques ne soient interceptées à Turin. Je prie V. M. d'interposer sa protection auprès du roi de Sardaigne, pour qu'il soit permis à un fils d'écrire à son père; car je ne puis croire que M. de la Grange ait pris V. M. pour Jésus-
a Il s'agit probablement ici des pièces contre l'infâme dont Frédéric parle au commencement de sa lettre à Voltaire, du 16 janvier 1767, t. XXIII, p. 135.
b ... Duas tantum res anxius optat,
Panem et Circenses.