<474> dernière lettre vous a fait rire, c'est que j'aime à égayer les matières qui en sont susceptibles, et qu'il me passe journellement par les mains tant de choses graves ou ennuyeuses, que je m'en dédommage, quand j'en ai l'occasion, par d'autres qui délassent l'esprit. Et pourquoi toujours traiter la philosophie avec une mine refrognée? J'aime à dérider le front des philosophes, et à badiner sur les opinions qui, si on les examine de près, n'ont pas de grands avantages les unes sur les autres. Le sage l'a dit : Vanité des grandeurs, vanité de la philosophie, et tout est vanité.
Ne pensez pas cependant que je ne sais que rire; j'ai fait pleurer il y a quelques jours toute l'assemblée d'une académie à laquelle vous vous intéressez, au sujet du discours que je vous envoie selon l'usage, comme on dit, parce que vous en êtes membre. Je crois que le fils de Castillon est tout installé sur la tour de l'observatoire, et que Jupiter, Vénus, Mars, Mercure, ne gravitent plus que selon ses ordres. J'avais fait mon accord qu'il adoucirait nos hivers et réchaufferait nos printemps; jusqu'ici il n'a pas tenu parole; mais comme sa domination n'a commencé que depuis peu, il y a apparence qu'elle n'est pas encore assez affermie pour que les planètes lui obéissent.
On m'a envoyé de Paris deux nouvelles tragédies, les Canadiens et Cosroès.a Les jeunes gens qui en sont les auteurs ne font pas mal les vers. S'ils pèchent, c'est qu'ils n'ourdissent pas assez finement la trame de tout l'ouvrage, et que les situations ne sont pas assez préparées, ni amenées assez naturellement; c'est qu'ils manquent de censeurs éclairés qui les conduisent dans une route où il est facile de s'égarer sans guide. Mais si le public les dégoûte, il étouffe des talents naissants qui pourraient se développer.
Pour les talents des jésuites, ils ne se développeront plus; les voilà
a Frédéric veut probablement parler du Huron, par l'abbé Du Laurent, et de Cosroès, par Lefevre; ces deux tragédies sont de 1767. Le 27 mai de la même année, on joua aussi à Paris Hirza, ou les Illinois, tragédie de Sauvigny.