<522>tants puisse être éclairée pour se mettre au-dessus des préjugés de l'éducation. Prenons une monarchie quelconque; convenons qu'elle contient dix millions d'habitants; sur ces dix millions, décomptons d'abord les laboureurs, les manufacturiers, les artisans, les soldats; il restera à peu près cinquante mille personnes, tant hommes que femmes; de celles-là, décomptons vingt-cinq mille pour le sexe féminin; le reste composera la noblesse et la bonne bourgeoisie; de ceux-là, examinons combien il y aura d'esprits inappliqués, combien d'imbéciles, combien d'âmes pusillanimes, combien de débauchés : et de ce calcul il résultera à peu près que, sur ce qu'on appelle une nation civilisée contenant environ dix millions d'habitants, à peine trouverez-vous mille personnes lettrées, et entre celles-là encore quelle différence pour le génie! Supposez donc qu'il fût possible que ces mille philosophes fussent tous du même sentiment, et aussi dégagés de préjugés les uns que les autres; quels effets produiront leurs leçons sur le public? Si huit dixièmes de la nation, occupés pour vivre, ne lisent point; si un autre dixième encore ne s'applique pas par frivolité, par débauche ou par ineptie, il résulte de là que le peu de bon sens dont notre espèce est capable ne peut résider que dans la moindre partie d'une nation, que le reste n'en est pas susceptible, et que les systèmes merveilleux prévaudront par conséquent toujours sur le grand nombre. Ces considérations me portent donc à croire que la crédulité, la superstition et la crainte timorée des âmes faibles l'emportera toujours dans la balance du public, que le nombre des philosophes sera petit dans tous les âges, et qu'une superstition quelconque dominera l'univers. La religion chrétienne était une espèce de théisme dans le commencement; elle naturalisa bientôt les idoles et les cérémonies païennes, auxquelles elle accorda l'indigénat, et à force de broderies nouvelles, elle couvrit si bien l'étoffe simple qu'elle avait reçue dans son institution, qu'elle devint méconnaissable. L'imperfection, tant en morale qu'en physique, est le caractère de ce