<530> exciter. Je ne saurais condamner Scipion l'Africain de son commerce avec une nymphe,a par lequel il acquit la confiance de ses troupes, et fut en état d'exécuter de brillantes entreprises; je ne blâme point Marius de sa vieille,b ni Sertorius de ce qu'il menait une biche avec lui.b Tous ceux qui auront à traiter avec un grand ramas d'hommes qu'il faut conduire au même but seront contraints d'avoir quelquefois recours aux illusions, et je ne les crois pas condamnables, s'ils en imposent au public, par les raisons que je viens d'alléguer. Il n'en est pas de même de la superstition grossière. C'est une des mauvaises drogues que la nature a semées dans cet univers, et qui tient même au caractère de l'homme; et je suis moralement persuadé que si l'on établissait une colonie nombreuse d'incrédules, au bout d'un certain nombre d'années on y verrait naître des superstitions. Ce système merveilleux semble fait pour le peuple. On abolit une religion ridicule, et l'on en introduit une plus extravagante; on voit des révolutions dans les opinions, mais c'est toujours un culte qui succède à quelque autre. Je crois qu'il est bon et très-utile d'éclairer les hommes. Combattre le fanatisme, c'est désarmer le monstre le plus cruel et le plus sanguinaire; crier contre l'abus des moines, contre ces vœux si opposés aux desseins de la nature, si contraires à la multiplication, c'est véritablement servir sa patrie. Mais je crois qu'il y aurait de la maladresse et même du danger à vouloir supprimer ces aliments de la superstition qui se distribuent publiquement aux enfants, que les pères veulent qu'on nourrisse de la sorte.
La réforme, comme vous le savez, fit une grande révolution; mais que de sang, que de carnage, que de guerres, de dévastations pour oser se passer de quelques articles de foi! quelle fureur s'empa-
a Polybe dit, livre X, chap. II, que Scipion le premier Africain s'était fondé sur des songes et sur des augures pour reculer les bornes de l'empire romain, et qu'il faisait passer tous ses desseins pour des inspirations des dieux.
b Voyez t. XXIII, p. 60, et ci-dessus, p. 311.