<544> choses, dans l'intérieur de ce royaume, dont mon éloignement m'empêche d'être instruit. Je suis persuadé qu'il s'y commet des injustices et des violences contre lesquelles le gouvernement devrait sévir; mais comprenez donc bien que lorsque quatre, six mille, enfin une multitude d'hommes se sont donné le mot pour en tromper un seul, cela arrive infailliblement. Cela est arrivé en tout pays et de tout temps, et à moins que l'espèce humaine ne soit refondue par un habile chimiste, et que quelque philosophe ne mêle d'autres matières à cette composition, il en sera toujours de même. Il faut s'assurer qu'un homme est coupable, et ensuite l'accuser; mais souvent on se précipite. Il est bon que les hommes aient un archétype, un modèle de perfection en vue, parce qu'ils ne s'en écartent que trop, et que cette idée même s'efface de leur esprit. Mais avec tout cela ils ne parviendront jamais à cette perfection, qui malheureusement est incompatible avec notre nature. J'en reviens toujours là, mon cher d'Alembert, et j'en conclus que ceux qui travaillent sincèrement pour le bien de la société font, comme votre défunt abbé de Saint-Pierre, des rêves d'un honnête homme.a Cela ne m'empêche pas d'y travailler dans le petit cercle où le hasard m'a placé, pour rendre heureux ceux qui l'habitent, et la pratique de ces choses qui me passent journellement par les mains m'éclaire sur leurs difficultés. Croyez, mon cher, qu'un homme qui aurait l'art de vous faire bien digérer serait plus utile au monde qu'un philosophe qui en bannirait tous les préjugés. Je vous souhaiterais un tel médecin d'autant plus sincèrement, que personne ne s'intéresse à votre conservation ni ne vous estime plus que celui qui prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.
a Voyez t. XIV, p. 323; t. XV, p. 151 et 152; t. XXII, p. 102 et 103; et enfin, ci-dessus, p. 148.