<569> qu'avec elle. Ce n'est pas, Sire, par respect seulement que je m'exprime ainsi; c'est parce que, en envisageant de près le sentiment de V. M. sur les matières abstruses que je prends la liberté de discuter avec elle, sa métaphysique et la mienne me paraissent réellement différer si peu, que notre discussion ne doit pas même s'appeler controverse, et encore moins dispute. Je vais donc prendre la liberté de converser encore une fois avec V. M. sur ces questions de ténèbres, bien plus pour m'instruire et m'éclairer que pour la contredire.
Je conviens d'abord avec V. M. d'un principe commun, et qui me paraît aussi évident qu'à elle. La création est absurde et impossible; la matière est donc incréable, par conséquent incréée, par conséquent éternelle. Cette conséquence, toute claire et toute nécessaire qu'elle est, n'accommodera pas les vrais partisans de l'existence de Dieu, qui veulent une intelligence souveraine, non matérielle, et créatrice. Mais n'importe; il ne s'agit pas ici de leur complaire, il s'agit de parler raison.
Je vois ensuite, dans toutes les parties de l'univers, et en particulier dans la construction des animaux, des traces, qu'on peut appeler au moins frappantes, d'intelligence et de dessein; il s'agit de savoir si en effet cette intelligence est réelle, et, supposé qu'elle le soit, de deviner, si nous pouvons, ce qu'elle est.
D'abord, je ne puis douter que cette intelligence ne soit jointe au moins à quelques parties de la matière; l'homme et les animaux en sont la preuve. Il est certain, de plus, qu'elle dirige la plus grande partie de leurs mouvements, et qu'elle est le principe de tout ce que l'homme a fait de raisonné, et surtout de grand et d'admirable, comme l'invention des arts et des sciences. Cette intelligence dans l'homme et dans les animaux est-elle distinguée de la matière, ou n'en est-elle qu'une propriété dépendante de l'organisation? L'expérience paraît prouver et même démontrer le dernier, puisque l'intelligence croît et s'éteint, à mesure que l'organisation se perfectionne