<573> cette vérité est simple, et surtout si elle va droit à son cœur, comme la religion que je propose de lui prêcher, il me paraît infaillible qu'il la saisira, et qu'il n'en voudra plus d'autre. Malheureusement nous sommes encore bien loin de cette heureuse révolution des esprits.
Je viens enfin, Sire, à ce prince tant loué pendant sa vie, peut-être trop déchiré après sa mort, mais auquel il me semble pourtant qu'on commence à rendre ce qui lui est dû, sans humeur comme sans flatterie. Malgré l'avantage qu'il a d'être défendu par un prince beaucoup plus grand que lui à tous égards, comme toute l'Europe le pense aujourd'hui, et comme la postérité le pensera encore davantage, je prendrai, Sire, la liberté de dire de ce prince à V. M. ce que La Fontaine disait de saint Paul à son confesseur : « Votre saint Paul n'est pas mon homme. » Je conviens de ce qu'il a fait de grand et même d'utile; je conviens que les sciences, les arts et les lettres lui doivent beaucoup; mais ses guerres, souvent très-injustes, son faste, son orgueil, son intolérance, sa révocation de l'édit de Nantes, son dévouement aux jésuites, tout cela, Sire, met contre lui un furieux poids dans la balance. A l'égard de l'exemple qu'il a donné aux autres souverains d'avoir sur pied des armées énormes, il faut d'abord, Sire, pour peu qu'on soit juste, commencer par convenir que, dans la position actuelle, il est impossible aux souverains même les plus pleins de lumières de ne pas suivre cet exemple; il serait également contre la raison, et contre ce qu'ils doivent à leurs sujets, de rester sans force, tandis que tout est armé autour d'eux jusqu'aux dents. Mais je prends la liberté de le demander à V. M., n'aimerait-elle pas mieux, si sa situation ne l'y forçait pas, avoir cent mille laboureurs de plus, et cent mille soldats de moins? Les uns l'enrichiraient, les autres lui coûtent beaucoup. Je sais que ces grandes armées font finir les guerres plus tôt; mais, Sire, ces guerres ne finissent que par l'épuisement, et il vaut, ce me semble, encore mieux, si on a cent mille hommes à perdre, les perdre en vingt ou trente ans que de les perdre