<632> cela doit me suffire; car les sciences voyagent. Elles ont été en Grèce, en Italie, en France, en Angleterre; pourquoi ne se fixeraient-elles pas pour un temps en Prusse? Il faut s'en flatter, et l'idée seule de cet événement me réjouit.
Savez-vous bien que vous venez de m'enorgueillir? Quoi! un des quarante de l'Académie française cite mes vers tudesques! Je commence à me croire poëte, et dès que cette paix dont vous voulez me faire l'honneur sera conclue, vous aurez le sixième chant. J'ai fait écrire en Hollande pour avoir ce qu'on imprime des Œuvres posthumes du pauvre Helvétius; mais je n'ai point encore de réponse; apparemment que l'impression n'en est pas tout à fait achevée. C'était un si honnête homme, que je relirai avec plaisir ses ouvrages. J'aurai dans peu de jours grande compagnie. La reine de Suède vient ici avec une grande partie de la famille. Je lui donne Phèdre et Mahomet. Les acteurs qui joueront ces pièces ne font que d'arriver; ainsi je ne saurais juger de leurs talents. A propos, nous venons de perdre Toussaint;a il me faut un bon rhétoricien à sa place. J'ai pensé à ce Delille,b traducteur de Virgile; je vous prie de lui en faire la proposition; il serait en même temps membre de notre Académie, avec les émoluments. En cas qu'il refuse, je vous prie de me proposer quelque autre sujet de mérite, et qui pût figurer pour les belles-lettres dans notre Académie. Voilà des commissions; mais qui est plus capable de les remplir que vous? Ainsi j'espère que vous voudrez bien vous en charger.
Sur ce, etc.
a Voyez ci-dessus, p. 21 et 431.
b Jacques Delille, né à Clermont-Ferrand le 22 juin 1738, et mort le 1er mai 1813. On a de lui des traductions en vers, entre autres celles de l'Énéide et des Géorgiques (voyez t. XXIII, p. 268), ainsi que plusieurs poëmes originaux.