<680> pu lui donner sur sa tragédie; car il attendait bien plus des conseils de V. M. que des éloges. Il a vu, en revenant, le Patriarche de Ferney, qui rit beaucoup, ainsi que moi, aux dépens du pape, du petit embarras que V. M. lui cause; car il doit, en honnête pape qu'il est, excommunier les jésuites, s'ils vous obéissent; et, s'il les excommunie, la philosophie espère voir beau jeu. V. M. se souvient peut-être d'une certaine bataille donnée au Paraguay par le roi jésuite Nicolas,a dans laquelle le père feld-maréchal avait eu trois capucins tués sous lui. Je mande au philosophe de Ferney que V. M., en établissant ce nouveau régiment dans ses États, ne peut guère se dispenser de faire une recrue de capucins pour remonter cette troupe. J'invite seulement V. M. à retrancher à ses nouveaux soldats les carabines dont on prétend que le roi de Portugal s'est mal trouvé.
Quoi qu'il en soit, Sire, comme il n'est pas à craindre que V. M. prenne jamais un jésuite ni pour confesseur, ni pour général, ni pour premier ministre, ni pour maîtresse, je pense que la philosophie doit être bien tranquille sur l'usage que Y. M. en veut faire, et qu'elle saura les rendre utiles, en les empêchant d'être dangereux. Tel est le résultat de mes réflexions, après m'être égayé un moment sur leur compte et sur celui du cordon de Saint-François qui les frappe et qui les disperse. Mais, Sire, ce qui est vraiment admirable, vraiment précieux à la philosophie, vraiment digne de V. M., c'est la belle inscription qu'elle vient de faire mettre à l'église catholique de Berlin, et que je n'ai apprise que depuis quelques jours : Frédéric, qui ne hait pas ceux qui servent Dieu autrement que lui.b Voilà, Sire, une des plus grandes et des plus utiles leçons que V. M. ait données à ses confrères les rois, tant ses contemporains que ses successeurs.
a L'histoire de ce jésuite, qu'on disait avoir été couronné en 1754, est une pure fiction; sa prétendue biographie a paru sous le titre de : Histoire de Nicolas Ier, roi du Paraguay et empereur des Mamelus. A Saint-Paul, 1756, quatre-vingt-huit pages in-8.
b Voyez t. XVIII, p. 96.