<699> duchesse de Brunswic, à laquelle j'ai fait entendre le Duc de Foix et Mithridate, déclamés par Aufresne.a J'avais appris encore avant mon départ la mort de Louis XV,b dont j'ai été sincèrement touché; c'était un bon prince, un honnête homme, qui n'eut d'autre défaut que de se trouver à la tête d'une monarchie dont le souverain doit avoir plus d'activité qu'il n'en avait reçu de la nature. Si tout n'a pas été également bien pendant son règne, il faut l'attribuer à ses ministres plutôt qu'à lui. A présent la malignité publique se déchaîne contre ce bon prince. Que l'inquiétude des Français n'aille pas les mettre dans le cas des grenouilles de la fable, que Jupiter punit de leur inconstance; mais c'est ce qu'ils n'ont pas à craindre. On dit des merveilles de Louis XVI; tout l'empire des Velches chante ses louanges. Le secret pour être approuvé en France, c'est d'être nouveau. Votre nation, lasse de Louis XIV, pensa insulter son convoi funèbre. Louis XV également a duré trop longtemps. On a dit du bien du feu duc de Bourgogne, parce qu'il mourut avant de monter sur le trône, et du dernier Dauphin par la même raison. Pour servir vos Français selon leur goût, il leur faut tous les deux ans un nouveau roi; la nouveauté est la déité de votre nation, et quelque bon souverain qu'ils aient, ils lui chercheront à la longue des défauts et des ridicules, comme si pour être roi on cessait d'être homme.
Quel homme est sans erreur, et quel roi sans faiblesse? Si j'étais M. de Sartines,c je ferais afficher cette sentence à toutes les places publiques et aux coins de tous les carrefours. Les souverains nos devanciers, nous et nos successeurs, nous sommes tous dans la même catégorie, des êtres imparfaits, composés d'un mélange de bonnes et de mauvaises qualités; il n'y a que votre vice-Dieu, siégeant à la ville aux sept montagnes, qui soit infaillible et regardé comme tel
a Voyez t. XXIII, p. 321.
b Louis XV mourut le 10 mai 1774.
c Lieutenant de police, à Paris.