<XII>Lorsque d'Alembert eut refusé de se charger de l'éducation du grand-duc de Russie avec cent mille livres de rente, Frédéric écrivit au marquis d'Argens, le 1er mars 1763 : « J'applaudis fort à cette marque évidente de son désintéressement, et je crois qu'il a pris un parti sage de ne point s'exposer à la fortune vagabonde. » Lors de son séjour à Paris, en 1782, le grand-duc exprima en personne à d'Alembert le regret qu'il avait eu de ne point le posséder à Saint-Pétersbourg.a
Obligé de renoncer à la société du savant qu'il estimait à si haut point. Frédéric jouit du moins de sa correspondance.
Les lettres qu'il échangeait avec Voltaire et d'Alembert étaient pour lui une source intarissable de jouissances; de leur côté, ils regardaient ce commerce avec le Roi comme une bonne fortune pour eux-mêmes et pour les lettres. La correspondance de ces trois hommes célèbres est une source précieuse pour l'étude du cœur humain et pour l'histoire du temps. Celle de Frédéric avec d'Alembert, entretenue pendant trente-deux ans parallèlement à celle qu'il eut avec Voltaire, est le digne pendant de celle-ci, soit pour la célébrité des correspondants, soit pour les sujets traités. Le caractère des deux correspondances diffère autant que le caractère même des deux amis littéraires de Frédéric. Autant la verve spirituelle, l'élégante vivacité et les allures aisées de l'auteur de la Henriade intéressent l'esprit, autant la noble simplicité et la droiture du philosophe mathématicien attachent et réchauffent le cœur; et Frédéric sait toujours prendre avec un tact merveilleux le ton qui convient soit à l'individualité de chacun de ces deux hommes distingués, soit aux circonstances dans lesquelles il leur adresse ses remarquables lettres.b
Frédéric fut plus de trente-sept ans en correspondance avec d'Alembert II écrivait toutes ses lettres de sa main, mais il les faisait copier par de Catt ou par Villaume. N'envoyant jamais à d'Alembert que ces copies, il en gardait les auto-
a Voyez la lettre de d'Alembert à Frédéric, du 21 juin 1782.
b Voyez t. XVI, p. 1 et 11.