9. A L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.
Berlin, 8 octobre 1763.
Madame ma sœur,
Je commence par faire mes condoléances et mes félicitations à Votre Altesse Électorale de la mort du Roi son beau-père, et de son avénenement à l'électorat. V. A. É. se ressouviendra de ce que je lui ai écrit, il n'y a pas longtemps, sur les affaires de Pologne; je crains fort, madame, que la Russie ne vous soit plus contraire que vous ne le pensez. M. de Woronzow, qui vient d'arriver ici,53-a m'a tenu aujourd'hui de certains propos qui me font mal augurer de cette affaire. Si vous ne désapprouvez pas que je vous parle franchement, il me semble qu'il vous conviendrait d'envoyer quelqu'un à cette cour pour notifier la mort du feu roi, et vous apprendriez par ce ministre à quoi vous pouvez vous attendre de l'Impératrice. Il me semble, madame, que ce serait agir avec précipitation que de vouloir vous engager dans une entreprise qui me paraît absolument hasardée, sans l'aveu de cette puissance. Pour moi, madame, je n'y ai pas l'ascendant que vous supposez; j'agis avec tous les ménagements avec une cour qui s'est séparée de mes ennemis lorsque toute l'Europe voulait m'écraser; mais je suis bien éloigné de pouvoir disposer de la façon<54> de penser de l'Impératrice. Il en est ainsi des démêlés touchant le duc de Courlande; l'on ne peut se charger d'une médiation que de l'aveu des deux partis. Je crois ne me pas tromper en supposant que la cour de Russie ne veut pas terminer cette affaire par une médiation étrangère. Ce qui m'est revenu sur cette affaire, et qui cependant n'est fondé que sur des nouvelles vagues, est que l'Impératrice pourrait se résoudre à acheter de Brühl la principauté de Zips pour la donner en dédommagement au prince Charles;54-a mais cela entraînerait une négociation avec la cour de Vienne, ce qui rendrait cette affaire plus contentieuse. Je vous conjure, madame, et je vous le répète, de ne vous précipiter en rien, ou j'appréhende que vous ne replongiez l'Europe dans les troubles dont à peine elle vient de sortir. Pour moi, j'ai trouvé depuis la paix tant d'ouvrage dans l'intérieur de mes États, que je n'ai, je vous assure, pas eu le temps, madame, de penser à l'étranger. Je me borne à faire mille vœux pour la prospérité de V. A. É., en l'assurant de la haute estime avec laquelle je suis, etc.
53-a Le grand chancelier Michel comte de Woronzow, qui se rendait en Italie, eut son audience à Charlottenbourg le 7 octobre 1763. Voyez t. XVIII, p. 146.
54-a Voyez t. IV, p. 257; t. V, p. 256; et t. XVIII, p. 250.