38. DE L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.
Dresde, 4 mars 1765.
Sire,
S'il m'était permis comme à Votre Majesté d'invoquer des morts, j'appellerais le dernier comte de Wackerbarth pour vous attester<91> l'usage qui s'observait à la cour du feu roi. Il vous dirait d'un ton et d'un air fort discret : Daignez croire, Sire, que, comme ministre du cabinet d'Auguste III, je n'ai jamais cédé aux ministres étrangers du second ordre. Ce même ministre de Suède, qui vient de susciter la question dans toutes les formes, voulut un jour la décider de fait contre moi. Il en vint presque aux coups de poing à la table de mon maître. Je lui résistai, quoique peu ferme sur mes jambes, et sus prendre mes mesures pour m'assurer l'avantage dans la suite. Mais, Sire, V. M. m'assure que l'amitié et le bon voisinage ne souffriront point de ce petit différend; le reste ne vaut pas la peine d'invoquer des ombres; laissons-les plutôt dans l'oubli, comme V. M. veut bien le proposer.
Je passe, Sire, à votre précédente lettre, car je veux rester sur la bonne bouche. Est-ce là, Sire, ce que vous appelez votre radotage? Je n'ai jamais rien vu de si bien pensé sur une question intéressante de belles-lettres. C'est qu'il fallait un grand génie sur le trône pour saisir et exprimer la vraie raison pourquoi les grands acteurs tragiques sont infiniment plus rares que les bons comiques. Il est glorieux aux princes et princesses de votre maison d'avoir fait couler vos larmes. Que je voudrais, Sire, en avoir été le témoin! Ces marques d'humanité sont bien touchantes dans un héros. Mesdames de Grapendorff et de Wrangel vous diront, Sire, l'état présent de notre comédie; je les ai vues ici avec plaisir; elles prouvent que la cour de V. M. est une bonne école d'agrément et de politesse.
Je suis, etc.