79. DE L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.

Dresde, 28 mars 1767.



Sire,

En lisant la dernière lettre que Votre Majesté m'a fait l'honneur de m'écrire, je me suis trouvée dans le cas de bien des gens qui lisent les philosophes; j'ai admiré, et n'ai point été convaincue. Non, Sire,<145> malgré tous les préceptes d'Épicure, né même simple particulier, vous ne seriez point resté dans l'inaction. Votre génie vous eût crié sans cesse que vous étiez fait pour agir.145-a Il vous eût sollicité, poussé; le naturel eût vaincu les maximes. Mais je croirais volontiers que, après avoir fait de grandes choses, pris des villes, gagné des batailles, enfin, ennuyé de triomphes, rassasié de gloire, et trop accoutumé au bruit de la renommée, une retraite glorieuse et philosophique eût terminé votre carrière. Du reste, Sire, je conviens avec V. M. que les souverains ne sont pas toujours maîtres de leur choix; moins libres, à cet égard, que les particuliers, les conjonctures les entraînent, les événements leur forcent la main. Puissent-ils vous permettre constamment de philosopher et de jouir! Mais que j'aie toujours quelque part à vos réflexions; vous ne pouvez, Sire, les communiquer à personne qui les admire davantage, ni qui soit plus que moi, avec les sentiments si distingués qui vous sont dus, Sire, etc.


145-a Frédéric dit dans son Épître V. A d'Argens (t. X, p. 110) :
     

L'homme est fait pour agir, non pour philosopher.