102. A L'ÉLECTRICE MARIE-ANT0NIE DE SAXE.
Breslau, 8 (5) septembre 1768.
Madame ma sœur,
C'est la crainte d'ennuyer Votre Altesse Royale qui me fait prendre le parti de la faire rire, si je le puis. Je n'ai, madame, de cette province aucune aventure de l'Arioste à vous conter; je n'ai rencontré<177> ni prince ni roi errant. A Glatz et à Neisse, l'on m'a entretenu du voyage de l'Empereur, et les fins politiques se disaient à l'oreille qu'il pousserait jusqu'à Dresde, pour avoir le plaisir de revoir V. A. R. Ici, à Breslau, on ne s'entretient que du chamaillis de la Pologne; pour moi, cela me fait admirer la Providence, qui, tant que la guerre dévastait la Silésie et l'Allemagne, tenait la Pologne tranquille, et, maintenant que ce royaume est troublé, nous jouissons de la plus profonde paix. J'ai vu ici mes amis les jésuites, et nous avons fait des jérémiades pour déplorer le sort d'un ordre jadis célèbre, et qui penche sur son déclin. Nous avons déploré les persécutions que souffre le saint-père, et nous nous sommes réunis de corps et d'esprit pour réciter une petite antienne à son honneur et gloire; et si vous voulez, madame, passer des choses saintes aux profanes, V. A. R. saura que nous célébrerons demain les noces177-a de mon neveu de Brunswic177-b avec la princesse d'Oels; nous aurons quelques petites fêtes pour réjouir une nation qui aime beaucoup la gaîté, et à laquelle quelques moments de plaisir adoucissent les amertumes qu'une guerre cruelle leur a fait sentir. Nous avons ici un comte Hoditz,177-c qui a beaucoup de goût et des dispositions heureuses pour les arts; un comte Sinzendorff, chevalier de Saint-Jean, qui postule une commanderie dans ce pays; et le comte Schaffgotsch, qui s'est trouvé naguère attaché à l'Empereur. Nous avons trois ou quatre dames viennoises, avec lesquelles je compte faire connaissance à ce soir. Je souhaite que V. A. R. jouisse d'une parfaite santé, et des prospérités qu'elle mérite; toutefois qu'elle se souvienne quelquefois du plus fidèle admirateur de son beau génie, et qui ne cessera d'être, etc.
177-a Ces noces furent célébrées à Breslau le 6 septembre 1768. Voyez les Berlinische Nachrichten von Staats- und gelehrten Sachen, 1768, no 110.
177-b Voyez ci-dessus, p. 140.
177-c Voyez t. XX, p. XVI-XVIII, et p. 237-284.