143. DE L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.

Dresde, 4 mars 1771.



Sire,

La dernière lettre de Votre Majesté m'eût rendue toute glorieuse, pour peu que je me fusse livrée à la juste vanité qu'elle a dû m'inspirer. Est-il bien vrai que l'illustre solitaire aux bords de la Havel, tandis qu'il s'occupe à pacifier le monde, s'intéresse assez à ma conservation pour descendre jusqu'aux détails de ma maladie? L'idée<237> d'avoir pu mériter à ce point l'estime de V. M. m'élève l'âme bien plus que ne feraient cent homélies du prince Louis. Oh! la triste chose que ces prêcheurs! Je n'ai presque connu que celui dont j'ai l'honneur de vous envoyer la médaille,237-a Sire, qui fût supportable, aimable même pour ceux qui s'étaient faits à son ton. V. M. l'honorait de son estime, et en effet il en était digne, car jamais homme n'a désiré plus sincèrement le bonheur de l'humanité. Il prêchait d'exemple. Mais je m'aperçois que la contagion de mon missionnaire prince me gagne; ennui pour ennui, il vaut encore mieux que V. M. en prenne dans la consultation de mes médecins que dans mes lettres. La voici, cette consultation, me flattant que vous me dirigerez, Sire, dans le choix des médecins étrangers à qui je pourrais l'envoyer, et que V. M. engagera les siens, qui ne sont pas les moins fameux, à donner leurs avis. Ils prononceront doctement, et je crois comme vous, Sire, qu'à travers tant d'avis je devinerai plus aisément ce qui me convient le mieux. Deviner est à peu près tout ce qu'on peut en fait de médecine, et j'en entreprendrai avec plus d'assurance le voyage des eaux où l'on m'enverra. Quelque part que j'aille, je suis trop sûre de ne rien rencontrer de comparable aux merveilles que j'ai vues dans mes derniers voyages, bien moins encore au créateur de toutes ces merveilles. Le respecter et l'admirer sera toujours ma plus chère occupation, trop heureuse que le plus grand des héros me permette quelquefois de l'assurer de ces sentiments immuables avec lesquels je ne cesserai d'être, etc.


237-a Probablement celle qui fut exécutée à Dresde par le graveur Jean-Frédéric Stieler, mort en 1790. La face de cette médaille représente la tète de Gellert; le revers, un autel et une lyre ornée de lauriers, avec la légende Pietati.