183. DE L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.
Nymphenbourg, 25 septembre 1774.
Sire,
Recevez mille et mille remercîments de la plus aimable des lettres. Elle a répandu dans mon âme une sérénité qui n'a pas tardé de se communiquer à mon corps par cette harmonie préétablie ou survenue après coup qu'on sent si bien et qu'on explique si peu. Plus d'humeur goutteuse, plus d'agitation dans mes esprits; ma guérison devient un jeu pour les chirurgiens, et j'ai pu me faire transporter de Munich ici. Esculape en personne n'eût pas contribué plus efficacement à ma guérison, et j'ai par-dessus ceux que nous appelons, un peu mal à propos, les anciens idolâtres l'avantage de retrouver tout en V. M. Il leur fallait un monde de divinités subalternes pour figurer au vulgaire les vertus et les talents divers; je vous nomme, Sire, et je les ai tous nommés. C'est Mars, c'est Apollon, c'est Esculape qui ranime en moi le souffle de la vie; c'est Minerve qui m'en apprend le véritable usage. Oui, Sire, il faut penser à ce qu'on est, combien c'est peu de chose, ce souffle qu'un rien peut nous ôter. Une pièce de bois était bien près de finir mes jours. Dans le même moment peut-être un fétu tuait une mouche. Ces deux événements entraient dans le plan général, et la princesse n'avait d'autre avantage<302> sur la mouche que celui de sentir mieux son mal, et d'être plainte. C'est sans doute une consolation bien douce de voir d'autres partager nos maux. Mais ces maux n'en sont pas moins tels, et tout le monde n'a pas comme moi l'avantage d'être plaint par le plus sublime des hommes.
Voilà donc enfin la paix faite,302-a et faite, dit-on, en un clin d'œil, les armes à la main, par quarante mille hommes qui dictaient la paix à cent cinquante mille. Cela est bien glorieux d'une part, quoique un peu lâche de l'autre. Mais nous sommes dans le siècle des grands événements et des belles actions. V. M. élève ce siècle avec elle. Tel a toujours été le sort des héros; mais ils restent supérieurs à ce siècle formé par eux, par leurs exemples, par leurs préceptes.
Puissé-je toujours mériter de l'avoir vu, ce héros étonnant et ce mortel sublime qui sera sans cesse l'objet de toute mon admiration et du plus parfait et inviolable attachement avec lequel je suis, etc.
302-a La paix de Kutschuk-Kainardschi, conclue entre les Russes et les Turcs le 21 juillet 1774. Voyez t. VI, p. 71.