209. DE L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.

Dresde, 1er décembre 1777.



Sire,

J'ai reçu l'inimitable lettre du roi philosophe qui sait se couvrir de toute espèce de gloire, et qui sait mieux, il sait l'apprécier. Eh! qui désormais pourra croire à l'immortalité de son nom, si Frédéric ne croit pas à la durée infinie du sien? Rien de plus vrai que ce que V. M. observe sur les révolutions qui enveloppent jusqu'à la mémoire des grands hommes. C'est, comme toujours dans vos lettres, la matière d'un volume renfermée en une demi-page. Mon esprit n'a pu se refuser à l'évidence, mais mon cœur combat encore; je ne puis me persuader, Sire, qu'il y aurait un temps où votre nom ne vivrait plus. Je conviens que tel sera le sort de tous ceux qui ont travaillé, comme vous le dites, pour le plaisir seul de faire parler d'eux; mais les bienfaiteurs de l'humanité, qui ont changé l'esprit de leurs siècles,<342> créé et perfectionné les États, doivent-ils s'attendre à être perdus de même dans la nuit des temps? Non, sans doute; et quand ils le devraient, est-il bon de persuader aux hommes cette affligeante vérité? Où sont les âmes fortes qui se porteraient encore aux plus grandes et aux plus difficiles entreprises, lors même qu'ils ne se tiendraient pas assurés que la mémoire dût en rester parmi les hommes? J'en connais peu, Sire, de cette trempe, et la vôtre n'est point faite pour servir d'exemple, lorsqu'il s'agit de fixer des règles pour la généralité des hommes. L'illusion les conduit les trois quarts du temps; souvent elle leur est nécessaire. Craignons de les en priver; contentons-nous de leur répéter les grandes vérités qui peuvent leur être utiles, celle, par exemple, par laquelle V. M. finit son admirable lettre, l'assurance d'être dans la main de l'Éternel, dont la volonté permanente ne peut détruire son ouvrage, et doit, au contraire, tendre sans cesse à le perfectionner. Socrate n'enseigna point de dogme plus sublime, ni plus essentiel au repos des hommes et au progrès de la vertu. Socrate! Il ne s'attendait pas, sans doute, il y a deux ou trois mille ans, à figurer dans mes lettres. Mais, Sire, on s'élève en lisant les vôtres, et ce feu du génie éclaire et réchauffe ceux même qui ne font que l'approcher.

J'ai revu, après plusieurs années d'éloignement, mon beau-frère le prince Albert, et je me suis livrée pendant quelques heures à toute l'effusion de l'amitié. C'est encore un des soutiens de la vie. Il est bien doux, Sire, et bien glorieux d'oser aspirer à la vôtre et mériter au moins votre indulgence, si c'est la mériter que de se sentir pénétré plus que personne de la haute considération et de l'admiration infinie avec laquelle je ne cesserai d'être, etc.